Le dialogue intercongolais qui a mis fin à la deuxième guerre du Congo offre un cadre pratique pour répondre à la crise actuelle en République démocratique du Congo.
Plus de 1,1 million de personnes ont été déplacées suite à la dernière offensive rebelle du M23 dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), qui a débuté en décembre 2024. On estime que 7 000 personnes, principalement des civils, ont été tuées. Les hôpitaux restent submergés de blessés et les gens continuent de fuir vers les pays voisins et l’intérieur du pays. L’avancée rapide de la milice M23, soutenue par le Rwanda, et de sa coalition politique, l’Alliance fleuve Congo (AFC), a fait craindre que le pays ne soit découpé en zones d’influence et annexé. Les forces insurgées contrôlent actuellement des territoires importants sur quatre fronts dans l’est de la RDC :
- Au nord de la capitale provinciale du Nord-Kivu, Goma,
- Au sud de la capitale provinciale du Sud-Kivu, Bukavu,
- À l’ouest de Goma, à Walikale et dans les territoires environnants et
- Au nord du lac Edward, s’étendant le long de la frontière ougandaise jusqu’au lac Albert.
Au total, le M23 contrôle un territoire environ 8 fois plus grand que la Belgique. S’il continue à progresser vers les provinces voisines de la Tshopo et de Kisangani, la rébellion contrôlera une zone d’une superficie équivalente à celle de l’Allemagne.
L’Ouganda a simultanément déployé des forces au Congo dans le cadre d’un accord avec le gouvernement de la RDC pour lutter contre une menace distincte émanant d’un groupe criminel violent, les Forces démocratiques alliées, qui opère à la frontière entre l’Ouganda et la RDC. Le rôle de l’Ouganda reste cependant ambigu, car d’autres déploiements des Forces de défense du peuple ougandais dans la province d’Ituri pour combattre un autre réseau criminel, la Coopérative pour le développement du Congo (CODECO), ont eu lieu presque en même temps que les avancées du M23 plus au sud. Il est à noter que l‘Ouganda coopère depuis longtemps avec le Rwanda dans le cadre d’interventions militaires antérieures en RDC.
La présence dans l’est de la RDC des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), vestiges des forces impliquées dans le génocide au Rwanda en 1994, reste une source majeure de tension entre la RDC et le Rwanda.
Le rôle important joué par les pays étrangers en RDC a également alimenté les craintes d’une conflagration régionale rappelant les première et deuxième guerres du Congo, au cours desquelles au moins huit armées africaines ont déployé des forces pour soutenir les différents belligérants.
Le caractère multidimensionnel de la crise en RDC la rend particulièrement difficile à résoudre.
Outre ces dimensions régionales, la contestation de la nationalité et de la citoyenneté des Congolais d’origine rwandaise et burundaise dans l’est du Congo est un grief majeur qui a alimenté toutes les grandes rébellions en RDC.
La question de la gestion des vastes ressources naturelles et des richesses minérales du Congo est tout aussi litigieuse et sensible. Elles restent une source de conflit et de concurrence entre des dizaines de milices armées et les pays voisins.
La faible légitimité et capacité du gouvernement de la RDC, ainsi que son contrôle ténu des territoires en dehors de la capitale Kinshasa, l’ont rendu de plus en plus vulnérable aux rébellions et au sentiment anti-gouvernemental. Les victoires électorales controversées du président Félix Tshisekedi en 2019 et 2024, ainsi que la tentative de sa coalition au pouvoir de modifier la Constitution pour ouvrir la voie à un troisième mandat, ont encore érodé le soutien populaire au gouvernement.
Les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC), fortes de 150 000 hommes, sont entravées par l’indiscipline, des chaînes de commandement parallèles, des rémunérations irrégulières et un comportement prédateur. Cette inefficacité a facilité l’offensive des rebelles. Pour compenser ces faiblesses, le gouvernement Tshisekedi s’est tourné vers un ensemble de milices appelées Wazalendo et de mercenaires d’Europe de l’Est, sans toutefois parvenir à endiguer l’avancée des rebelles. Certaines milices, la police et des unités des FARDC auraient rejoint la rébellion.
Cette complexité reflète les conflits précédents en RDC. Le dialogue inter-congolais (DIC) et les accords de Sun City (Afrique du Sud) qui en ont résulté et qui ont mis fin à la deuxième guerre du Congo (1998-2003) sont particulièrement pertinents. Ce conflit avait des causes profondes, des acteurs et des dimensions externes similaires à ceux de la crise actuelle. L’ancien président sud-africain Thabo Mbeki, l’un des principaux architectes de ces pourparlers, a fait remarquer que le conflit actuel ne présentait rien de fondamentalement nouveau en termes de questions essentielles. L’examen des leçons tirées du DIC peut donc fournir des orientations pour prévenir une nouvelle escalade de la crise actuelle en RDC.
Modalités pertinentes du dialogue inter-congolais
La dernière initiative de paix de l’Union africaine (UA) en RDC implique la fusion des processus de Luanda et de Nairobi menés respectivement par la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) et la Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC). Elle est composée d’un panel de cinq anciens présidents d’Afrique centrale, d’Afrique du Sud et d’Afrique de l’Est : Uhuru Kenyatta (Kenya), Olusegun Obasanjo (Nigeria), Kgalema Motlanthe (Afrique du Sud), Sahle-Work Zewde (Éthiopie) et Catherine Samba-Panza (République centrafricaine). L’UA a désigné le président togolais Faure Gnassingbé pour coordonner le processus.
Les médiateurs africains sont confrontés à deux défis immédiats. Premièrement, ils doivent s’approprier l’initiative de paix en RDC en la dotant de ressources financières et techniques adéquates, tout en décourageant les parties de faire du « forum shopping ». Deuxièmement, il s’agit de lancer un processus congolais inclusif qui trouve une solution globale aux dimensions internes et externes de la crise.
La deuxième guerre du Congo a été réglée par le DIC, dont la médiation a été assurée par feu le président du Botswana, Ketumile Masire, avec le soutien du président Mbeki. De nombreux signataires du DIC restent engagés dans le processus politique. De nombreux diplomates régionaux et garants internationaux qui ont façonné le dialogue recherchent également activement des solutions à la crise actuelle.
Le contexte
La deuxième guerre du Congo a consisté en une offensive menée par trois groupes rebelles soutenus par l’Ouganda et le Rwanda pour renverser le gouvernement du défunt président de la RDC, Laurent Kabila. Ce dernier était soutenu militairement par l’Angola, la Namibie et le Zimbabwe. Ceci est pertinent pour la crise actuelle car la SADC a déployé des troupes du Malawi, de l’Afrique du Sud et de la Tanzanie pour soutenir la contre-offensive de la RDC contre le M23. La SADC a décidé de retirer ses forces à la fin du mois de février afin de se concentrer sur des solutions diplomatiques pour parvenir à un cessez-le-feu.