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DR Congo

La RDC, un pays en guerre

La Chronique 66
Depuis la chute du Président Mobutu en 1997, les populations civiles de la République Démocratique du Congo (ex-Zaïre) subissent les conséquences d'un lourd conflit qui mêle acteurs locaux et pays africains limitrophes. Ainsi le 5 octobre 2002, les groupes armés May May prenaient la ville d'Uvira aux autorités locales du RCD (Rassemblement Congolais pour la Démocratie) avant de se retirer quelques jours plus tard.

AMI intervient au Sud-Kivu, dans la région d'Uvira, depuis avril 2001. L'insécurité qui y règne a fréquemment contraint nos équipes à suspendre temporai-rement leurs activités et parfois à se replier au Burundi voisin.

Dans un communiqué de presse publié le 30 octobre, AMI dénonce la violence perpé-trée à l'encontre des populations civiles et demande aux belligérants le libre passage de l'aide humanitaire.

Jean-Michel Pourvis, chef de mission, revient sur les récents combats en page 3 (voir interview).

Points de repère

Mi 1999: Partition du Congo Démocratique en quatre grandes régions. L'ouest et le sud sont contrôlés par Kinshasa et ses alliés, les Zimbabwe, l'Angola et la Namibie. Le nord et l'est du pays sont aux mains des différents mouvements de rébellion et de leurs parrains, l'Ouganda, le Rwanda et le Burundi et se retrouvent divisés en trois zones d'influence.

Le 10 juillet 1999: Un accord de cessez-le-feu est signé à Lusaka (Zambie), entre les belligé-rants. Il ne sera pas appliqué. Les combats et exactions sur les populations civiles continuent.

Le 16 janvier 2001: Laurent Désiré-Kabila est assassiné à Kinshasa.

Le 17 janvier 2001: Joseph Kabila, son fils, accède au pouvoir. Il s'engage à appliquer les Accords de Lusaka et à organiser la dialogue inter-congolais. Dans le même temps, il demande le départ des troupes étrangères. Même si elles quittent progressivement le pays, la paix ne revient pas : plusieurs groupes armés aidés par les pays voisins continuent à se battre, notamment dans l'Ituri et au sud Kivu.

Aujourd'hui : le dialogue intercongolais

Le 17 décembre 2002, un accord de paix intercongolais est signé par le pouvoir de Kinshasa et ses opposants. Cet accord prévoit la mise en place d'un gouvernement d'unité nationale pour une période transitoire de deux ans avant la tenue des premières élections libres depuis l'indépendance du Congo. Il devra mettre fin à une guerre de quatre années qui aura coûté la vie à 2,5 millions de Congolais.

Dernières nouvelles du terrain...

Deux jours après la signature des accords de paix, les combats ont recommencé au Sud-Kivu dans notre région d'intervention. Ils ont également repris violemment en Iturie au Nord Kivu, à la frontière Ougandaise, entre les troupes du MLC et le RCD. On parle de plus de 50.000 déplacés. Au sud Kivu, dans notre zone d'intervention, le RDC et les May May s'affrontent à nouveau jusqu'à la périphérique d'Uvira. Nous n'avons pour l'instant aucune information sur le nom-bre de victimes et l'importance des combats. Nos équipes sont repliés depuis le 20 décembre sur Bujumbura. Le contact avec l'équipe locale AMI est maintenu par radio et téléphone.

Communiqué de presse publié par AMI le 30 octobre 2002

Appel humanitaire d'urgence en faveur des populations de la région d'Uvira (sud Kivu ) en République Démocratique du Congo

Depuis le 5 octobre 2002, le conflit à l'est de la République Démocratique du Congo a pris une nouvelle dimension avec la prise d'Uvira par les groupes armés May May puis le recul de ces derniers dans leur bastions des hauts plateaux et des rives sud du Tanganika.

Les populations civiles sont une nouvelle fois les victimes de l'affrontement entre les forces du RCD-Goma et les groupes armés May May. Depuis trois semaines les organisations humanitaires n'ont plus accès aux populations des zones de santé d'Uvira, de Lemera, Fizi et Nundu soit prés de 900.000 personnes désormais sans assistance. Localement, des témoignages rapportés à l'AMI feraient état de violences arbitraires et de meurtres sur des civils, ainsi que d'actes de pillages tandis que plusieurs milliers de personnes ont fuis vers le Burundi et la Tanzanie.

Outre les populations civiles, les organisations humanitaires ont été également prises pour cible. Les entrepôts médicaux d'Aide Médicale Internationale (AMI) et six centres de santé soutenus par l'association ont été pillés. Le personnel de ces centres de santé a été menacé et violemment molesté. L'infirmier responsable d'un dispensaire proche d'Uvira a été blessé par balle.

Aide Médicale Internationale condamne ces actes hostiles à la mise en oeuvre de programme d'aide humanitaire et la violence faite à l'encontre des personnels de santé et des populations civiles.

Aide Médicale Internationale demande aux belligérants de mettreun terme à ces exactions et de permettre un libre accès aux équipes humani-taires, notamment dans la région de Baraka o=F9 une nouvelle épidémie de choléra vient de se déclencher.

Interview de Jean-Michel Pourvis, chef de mission AMI au Sud-Kivu

Comment as-tu été informé de l'attaque des May-May contre la ville d'Uvira ?

La ville d'Uvira a été prise par les May May au RCD, le samedi 12 octobre dans l'après-midi, après quelques combats. Depuis quelques jours, des rumeurs circulaient concernant de possibles combats.

Au niveau de notre mission, le suivi sécuritaire et donc la qualité des informations est primordiale. Une personne de l'équipe passe une large partie de son temps à s'informer, recueillir et analyser les informations. Malheureusement, même en étant informé de la possible prise de la région par les rebelles hostiles au RCD, nous n'avons pu empêcher le pillage de la base et des centres de santé. Cela nous a tout de même permis d'évacuer les équipes expatriées sans difficultés deux jours avant les combats pour la prise d'Uvira, et une grande partie du matériel dés la semaine précédente.

Dans ce genre de situation, quelles sont les mesures à prendre, quelles sont les consignes à suivre ?

Les règles de sécurité concernant les mouve-ments entre la base et les centres de santé avaient été renforcées et depuis prés d'une semaine les déplacements ne se faisaient plus que sur Uvira et sa proche périphérie. Les mesures étaient, quant à elles, plutôt d'ordre logistique pour préparer la protection du matériel en laissant un minimum d'outil de communication pour pouvoir fonctionner à distance avec l'équipe locale.

Les consignes de sécurité ont finalement surtout concerné l'équipe locale de AMI, puisque c'est elle qui s'est retrouvée en première ligne. Malgré le pillage, elle a très bien réagi en tentant de négocier avec les commandants May May pour protéger ce qu'il restait sur la base AMI et en particulier sortir les médicaments de notre dépôt pour pouvoir les acheminer vers l'hôpital.

Grâce à l'intervention des équipes locales, nous avons pu sauver la quasi-totalité des médicaments et approvisionner certains centres de santé malgré les combats.

Comment se passe concrètement une évacuation de mission ?

Comme je l'ai dit, l'évacuation des expatriés a pu se faire avant le début des combats. Les difficultés ont commencé avec la prise d'Uvira qui a entraîné la fermeture de la frontière avec le Burundi. Cela nous a isolé des équipes locales et a développé un certain sentiment d'impuissance par rapport à ce qui était entrain de se dérouler.

Avec les actes de pillage nous avons du gérer cette situation principalement par téléphone avec certains responsables des belligérants. Il est alors très difficile d'avoir une visibilité sur ce qui se passe réellement. De nouveaux interlocuteurs apparaissent et il est difficile de savoir le niveau de confiance que vous pouvez leur accorder. Il s'agissait de comprendre très vite qui étaient les nouveaux dirigeants et la répartition des rôles entre les différents groupes.

Nous nous sommes alors appuyés en large partie sur l'équipe locale, mais les premiers jours nous étions inquiets pour leur propre sécurité et nous nous interrogions sur le comportement des rebelles par rapport aux populations civiles.

Une fois en sécurité, que fait l'équipe ?

Malgré l'impossibilité de passer la frontière pendant plus de deux semaines, nous avons pu coordonner les activités par téléphone cellulaire et radio, Bujumbura se trouvant en face d'Uvira.

Néanmoins, les périodes de veille sont souvent très difficiles pour la vie d'équipe, surtout que vous ne savez pas combien de temps cela va durer. La situation sur le Burundi n'étant pas facile non plus avec un conflit très présent autour de Bujumbura. Le moral des équipes n'était pas au beau fixe. Je crois cependant que d'avoir un contact quasi permanent avec les équipes sur place à Uvira et pouvoir faire fonctionner la mission un minimum, cela a permis d'éviter un trop grand découragement.

Que se passe-t-il une fois de retour sur la mission ?

Dés la réouverture de la frontière, nous avons pu retourner sur Uvira. Les troupes du RCD-Goma venaient de réinvestir la ville 24h auparavant. Le climat était alors encore tendu, avec des militaires très nombreux. Le premier constat que nous avons fait était la présence de jeunes enfants soldats (certains âgés de moins de 15 ans), ce qui voulaient aussi dire non formés et surtout non disciplinés. Le deuxième constat était que la population n'était pas rassurée et avait peur des représailles.

Les combats étaient très proches d'Uvira, à moins de 20 km au sud et une nouvelle ligne de front s'installait là-bas nous séparant d'une partie des centres de santé dont nous avons la charge.

Le contact avec l'équipe locale a été très bon et nous avons pu constater l'excellent travail qu'ils avaient mené malgré les pressions et l'instabilité des dernières semaines. La base, malgré le pillage, n'avait pas été trop touchée et cela encore grâce à l'intervention des équipes.

Dans quel état avez-vous retrouvé les structures de santé ?

Les jours suivant notre retour sur Uvira nous avons effectué une visite des centres de santé accessibles et avons constaté que ceux-ci avaient été pillés. Des troupes s'étaient en partie installées dans certains centres lors des combats, repartant avec le matériel (matelas/ médicaments...). Des agressions et violences physiques ont été aussi perpétrées à l'encontre de soeurs catho-liques gérant un des centres de santé, et un infirmier a été blessé par balle en voulant protéger sa pharmacie.

Et maintenant ?

Après plusieurs semaines d'instabilité nous avons repris une activité relativement normale. La gestion sécuritaire est devenue malheureu-sement encore plus difficile avec l'apparition de cette ligne de front.

Néanmoins, fin novembre, nous avons pu effectuer un déplacement sur les zones contrôlées par les May May et approvisionner en médicament et matériel trois dispensaires. Ce déplacement bien que très difficile avec de nombreux contrôles et quelques tensions (la plupart des troupes sur le front sont très jeunes) a permis de sensibiliser les chefs May May à nos interventions. Les négociations de paix, en cours en Afrique du Sud, qui doivent déboucher sur un partage du pouvoir entre Kinshasa et les différents mouvements rebelles, vont certainement donner le ton pour 2003.

Dans cet interview, on parle de l'évacuation des expatriés, mais que devient le personnel local dans ce type de situation ?

Le personnel local a préféré, dans sa grande majorité, rester sur Uvira car ils ont leurs familles et leurs biens à protéger.

Il est souvent très difficile d'évacuer des ressortissants nationaux (d'autant plus s'ils partent en famille) car les gardes-frontaliers filtrent les passages. La frontière entre la République Démocratique du Congo et le Burundi a été fermée dès le début des combats puis ouverte pendant quelques heures le lendemain pour laisser passer quelques centaines de réfugiés. Les autorités burundaises sont inquiètes face à l'afflux de réfugiés et ont pris des mesures très strictes.