Chef d'OCHA Genève et Directeur de la Division de la coordination, Cher Ramesh,
Monsieur le Ministre Conseiller, Représentant de la Mission permanente de la RDC à Genève,
Mesdames et Messieurs les Représentants des États membres accrédités auprès des Nations Unies à Genève,
Mesdames et Messieurs,
Je m’adresse à vous aujourd’hui à un moment d’une extrême gravité pour le peuple congolais. La République démocratique du Congo (RDC) traverse un nouveau chapitre douloureux de son histoire.
Dans le même temps, nous sommes à un tournant décisif pour le système humanitaire mondial.
Avant d’évoquer les besoins humanitaires urgents et la situation dramatique des civils dans l’est de la RDC, je souhaite insister sur une vérité fondamentale : sans paix, les humanitaires ne pourront pas inverser la tendance seuls.
Je lance un appel pressant à toutes les parties au conflit, ainsi qu’à l’ensemble de la communauté internationale, pour qu’elles privilégient les solutions politiques, instaurent un cessez-le-feu immédiat et ouvrent la voie à une paix durable.
Mesdames et Messieurs,
Je reviens d’une mission d’une semaine au Nord et au Sud-Kivu, où j’ai rencontré nos partenaires locaux d’ONG, qui fournissent courageusement une aide essentielle au mépris de risques croissants pour leur propre sécurité. J’ai également échangé avec nos partenaires des Nations Unies et des ONG internationales, déterminés à surmonter des défis immenses pour maintenir leur assistance. Mais surtout, j’ai écouté avec attention les témoignages de personnes directement touchées par cette crise.
Dans une école accueillant aujourd’hui des centaines de familles déplacées, j’ai parlé avec des femmes qui avaient auparavant trouvé refuge dans un site de déplacés près de Goma. Il y a quatre semaines, elles ont été contraintes de retourner dans leur village d’origine, pour découvrir que leurs maisons avaient été détruites. Peu après, des hommes armés sont arrivés et leur ont de nouveau ordonné de partir. N’ayant nulle part où aller, elles se sont réfugiées dans des salles de classe surpeuplées et endommagées par les tirs d’artillerie, ainsi que dans des abris de fortune autour de Sake. Aujourd’hui, elles vivent sans accès adéquat à l’eau, à l’assainissement ni à la sécurité. Leur appel est aussi simple qu’urgent : la paix, la sécurité, et la possibilité de retrouver la vie et la dignité que le conflit leur a volées il y a deux ans.
Mesdames et Messieurs,
La situation actuelle en RDC ne se résume pas à la dégradation d’une crise prolongée. Il s’agit d’une véritable polycrise, nourrie par trois dynamiques majeures de déstabilisation :
Premièrement : une spirale de violence qui s'étend à l’ensemble de l’est de la RDC.
Au Nord et au Sud-Kivu, l’offensive du M23/RDF se poursuit, exposant les civils à des risques extrêmes. Depuis la chute de Goma le 27 janvier et la prise de Bukavu le 16 février, plus d'un million de personnes ont été déplacées de force. Les combats dans de nombreuses zones ont coupé des centaines de milliers de civils de l'aide humanitaire.
Fuyant les violences, de plus en plus de personnes cherchent refuge dans les provinces voisines du Maniema, de la Tshopo et du Tanganyika, où les capacités de réponse sont très limitées.
En Ituri, des groupes armés tels que les Allied Democratic Forces (ADF) et la Coopérative.pour.le. développement.du.Congo (CODECO) – parmi les plus violents et meurtriers en RDC – profitent de la dispersion des forces de sécurité nationales pour intensifier leurs attaques contre les civils. Depuis janvier, plus de 200 civils ont été tués et plus de 100 000 personnes ont fui leurs foyers, dans une province comptant déjà 1,4 million de déplacés internes.
Ces tensions intercommunautaires déjà explosives sont aujourd’hui dangereusement exacerbées par le déploiement de milliers de soldats ougandais (UPDF) depuis février, dont la présence dépasse largement les zones initialement convenues dans le cadre de l'opération conjointe FARDC-UPDF Shujaa. Je tiens à souligner clairement l'ampleur des risques actuels : le potentiel d’escalade de violences interethniques est alarmant. Sans action immédiate et déterminée pour contrer cette dynamique, l’Ituri pourrait rapidement sombrer dans une catastrophe humanitaire à grande échelle.
Dans toutes ces provinces, l’escalade du conflit a entraîné de graves violations du droit international humanitaire. Les femmes et les filles sont confrontées à des niveaux de violence sexuelle terrifiants, tandis que les enfants sont de plus en plus exposés à de graves abus, y compris le recrutement forcé.
Celles et ceux qui tentent de les protéger paient également un lourd tribut : depuis janvier, 11 collègues humanitaires ont déjà perdu la vie – plus que pendant toute l'année 2024. Nous rendons hommage à leur courage et à leur engagement.
Deuxièmement : un bouleversement radical de l’environnement opérationnel.
Dans de vastes zones du Nord et du Sud-Kivu, les acteurs humanitaires opèrent désormais sous une autorité de facto mise en place par un groupe armé sous sanctions des Nations Unies. Certains États membres et entités ont par ailleurs imposé des sanctions unilatérales à des acteurs non désignés par le Conseil de sécurité. L’impact sur les opérations humanitaires et la vie quotidienne de la population est profond et multiple. L'accès aux personnes dans le besoin est devenu plus complexe.
Des infrastructures clés, comme les aéroports de Goma et Kavumu, restent fermées, entravant les mouvements et la livraison de l'aide. La suspension du système bancaire et les restrictions sur les importations aggravent encore une situation socio-économique déjà critique. À Goma seulement, 700 000 personnes déplacées ont quitté les sites démantelés autour de la ville pour trouver refuge chez des familles hôtes, dans des centres collectifs, ou retourner dans leurs lieux d’origine. Cette dispersion, ainsi que les mouvements précaires et parfois forcés, exigent une adaptation urgente vers une réponse humanitaire décentralisée et étendue sur un territoire plus vaste.
Alors que nous adaptons nos opérations à cette nouvelle réalité, nous restons pleinement engagés à faire respecter les principes humanitaires fondamentaux de neutralité, d’impartialité, d’indépendance et d’humanité.
Troisièmement : la crise mondiale du financement de l’aide humanitaire.
Cette crise survient au pire moment pour la RDC, où l’aide humanitaire reste vitale pour des millions de personnes. En 2024, un montant sans précédent de 1,3 milliard de dollars a été mobilisé, permettant d’atteindre plus de 7,1 millions de personnes dans le besoin, avec une contribution de 70 % par les États-Unis au Plan de réponse humanitaire.
Aujourd’hui, le manque de financement menace directement l’assistance. Au 25 mars, le Plan de réponse humanitaire 2025 pour la RDC n’est financé qu’à hauteur de 8,3 %. Certains partenaires ont dû suspendre leurs activités. En réaction, les acteurs humanitaires mènent actuellement, sous la coordination d’OCHA, un exercice de reprogrammation d’urgence visant à recentrer les ressources disponibles sur l’aide vitale aux plus vulnérables. Ce changement radical de mode opératoire est inévitable compte tenu de l’ampleur du déficit. Néanmoins, sans financements supplémentaires, des millions de personnes vulnérables seront privées d’une aide essentielle, avec une dégradation dramatique de leurs conditions de vie et de leur dignité.
Mesdames et Messieurs,
La "polycrise" touche l’ensemble du pays, accentuant la pression sur des provinces déjà fragilisées par les violences intercommunautaires, les épidémies récurrentes et une vulnérabilité élevée. Elle met à rude épreuve les capacités de réponse et reconfigure les dynamiques régionales, avec des conséquences potentiellement catastrophiques pour la sous-région. Cela affecte également la trajectoire de développement du pays.
Derrière nos réflexions stratégiques et nos statistiques se cache une souffrance humaine insoutenable. Des familles, déjà déplacées plusieurs fois, fuient de nouveau pour sauver leur vie. Des enfants nés dans la guerre ne connaissent rien d’autre que des abris de fortune et un avenir incertain.
Des femmes et des filles portent les cicatrices profondes de violences sexuelles et ont subi des atrocités indicibles.
Mesdames et Messieurs,
Soyons clairs il n’y a pas de solution militaire à cette crise. La poursuite des violences ne fera qu’aggraver le cycle de souffrances, de déplacements et de destruction. N’oublions pas que cette crise humanitaire dure depuis 30 ans – la plus longue au monde.
La meilleure façon d’améliorer la réponse humanitaire, c’est de réduire les besoins humanitaires.
Premièrement, en réaffirmant la primauté du politique. Le dialogue et les processus politiques doivent aboutir à des résultats concrets et faire taire les armes. La population civile a urgemment besoin de répit, et une paix véritable, ainsi qu’une réconciliation sincère, doivent rester la priorité.
Deuxièmement, nous devons collectivement nous mobiliser de manière durable pour traiter les causes profondes des conflits : les litiges fonciers, l’exploitation des ressources naturelles, et la gestion néfaste des flux financiers illicites.
Enfin, au-delà de l’aide humanitaire vitale, il est essentiel de renforcer l’approche nexus pour réduire les besoins et faire progresser des solutions durables et pérennes.
Le peuple congolais a plus que jamais besoin d’un Congo en paix – et le monde aussi. Pays aux multiples opportunités stratégiques, deuxième poumon vert de la planète essentiel à la survie de l’humanité, acteur clé de la transition énergétique mondiale, la RDC doit enfin devenir un pays de solutions. Pour cela, la paix est indispensable.
Disclaimer
- UN Office for the Coordination of Humanitarian Affairs
- To learn more about OCHA's activities, please visit https://www.unocha.org/.