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DR Congo

Dans la République démocratique du Congo, un allié de poids dans la lutte contre la polio --Partie 1 : à la rencontre du Roi Eléphant

PP2 est un pasteur plein de charisme appartenant à la secte Kitawala Filadelphie, en République démocratique du Congo. Il conseillait autrefois à ses disciples de refuser la vaccination contre la polio. Récemment, il a commencé à rectifier le tir.

Mais la voie qui mène à l’adhésion n’a été ni rapide ni facile. Des heures passées à rechercher dans une Bible traduite en swahili le dernier mot sur les vaccinations jusqu’à la surprenante décision d’envoyer des jeunes membres de la secte suivre une formation médicale et à des vaccinations secrètes effectuées dans la profondeur de la nuit, nous relatons, dans cette série de reportages en trois volets, l’itinéraire d’une alliance inattendue avec un homme qui se fait appeler le Roi Eléphant.

Le jour où il est tombé, Little Mandela s'était réveillé en parfaite santé. Le garçonnet de 8 ans est allé à l'école du village. Il a joué au football avec les autres enfants. Mais, ce jour-là, les jambes de Petit Mandela – du nom du grand héros africain – ont cessé de fonctionner.

Quand on leur a dit que la maladie de Petit Mandela était la polio, et qu'elle était incurable, ses parents l'ont emmené voir un marabout du coin. Le marabout a dit qu'il allait guérir le garçon. Il a creusé un trou dans le sol. Il y a enterré Petit Mandela jusqu'à ses hanches, en position verticale, avec seulement le tronc de son petit corps à l'air libre. Il a laissé Petit Mandela comme ça, à moitié enterré, pendant un mois

Un taux élevé de refus de vaccination

La province du Katanga, dans le sud-est de la République démocratique du Congo - où le petit Mandela, devenu adulte, raconte maintenant son histoire en espérant que cela encouragera les parents à faire vacciner leurs enfants - affiche un taux élevé de refus de vaccination contre la polio. Quelque 50 pour cent des enfants qui ne sont pas vaccinés ici ont en fait accès au vaccin, une statistique stupéfiante, mais ils sont exposés à la polio parce que leurs parents refusent de les laisser vacciner. Cette décision est fortement influencée par des chefs religieux locaux qui comprennent mal le vaccin, et donc le craignent.

C'est dans des poches de résistance comme celle-ci que la polio frappe souvent aujourd'hui. En 1988, 350 000 cas de paralysie résultant de la polio ont été signalés dans le monde. En 2012, seulement 222 cas ont été enregistrés. Sur les 39 génotypes du virus, il n’en reste plus que quatre. Des progrès fantastiques, rendus possibles grâce à un vaccin efficace et des efforts internationaux bien coordonnés.

Pourtant, quelques pays sont encore considérés comme à haut risque. Ce qu’on appelle les « sanctuaires du virus » ont été créés par de grandes zones d'enfants non vaccinés dans les zones tribales du Pakistan, dans le sud de l'Afghanistan, dans les régions rurales du Tchad, dans le nord du Nigéria et dans le sud-est de la République démocratique du Congo. A cause de l’existence de ces zones, le virus risque de circuler à nouveau, alors même que le monde n’a jamais été aussi proche de l'anéantir pour de bon. La poliomyélite a disparu de 99,9 pour cent de la planète. Mais c'est le 0,1 pour cent qui reste qui est le plus difficile, le plus coûteux - et le plus important

Une frappe directe contre les peurs

Aujourd'hui, dans le district de Tanganyika au Katanga, Petit Mandela est devenu Papa Mandela. Il a maintenant 30 ans, mais son corps semble encore scindé en deux. Son tronc est massif, le résultat d'années d’efforts sur ses béquilles pour que son corps l’amène dans tous les endroits où ses jambes refusent de l’amener. Ses jambes sont comme des fantômes. On les imagine, plutôt qu’on ne les voit, dans un jeans qui semble flotter, vide, sur son corps.

Un mégaphone dans sa main calleuse, Papa Mandela prend la parole devant une foule. Sa voix est chaude et triste en même temps. Ses paroles visent les plus grandes craintes de son auditoire : la peur des Blancs, des étrangers et de leurs intentions.

« Quoi qu’il en soit, mes chers frères et sœurs, ne cachez pas vos enfants en disant que ce vaccin tue. Si l'homme blanc veut nous tuer, il nous tuera de toute façon. Y a-t-il des gens ici qui mangent sans sel ? Quelqu’un qui ne sucre pas son porridge ? Si les Blancs veulent vous tuer, ils vous empoisonneront, parce qu'il n'y a personne qui peut manger de la nourriture sans sel. N'est-ce pas la vérité ?

« Nous vous avons donné des moustiquaires. Elles étaient blanches mais vous les avez acceptées. Acceptez de faire vacciner mes petits frères et sœurs - c'est la seule chose que je demande ! »

Le Roi Eléphant

Le district de Tanganyika déborde de groupes qui s'opposent à la vaccination. Pour leurs détracteurs, il s’agit de sectes. Leurs partisans affirment que ce sont des églises. Quoi qu’il en soit, ces groupes spirituels sont partout dans la vie locale. Certains sont de la taille d'un village. D’autres regroupent plusieurs chefs religieux, ou pasteurs, et comptent des milliers d’adeptes fervents. Les Kitawalas sont un de ces groupes.

Mais dans la foule qui écoutait Papa Mandela ce jour-là, ces pasteurs, dont les enseignements ont une énorme influence sur les décisions quotidiennes de leurs adeptes, n’étaient pas là. Parmi ces pasteurs, on compte PP2, un chef de file pittoresque et influent de la secte Kitawala Filadelphie avec lequel l'UNICEF a forgé une alliance inattendue dans la lutte contre la polio.

PP2, dont le nom est l'abréviation de pasteur Paul 2, se fait appeler le Roi Eléphant. À 54 ans, il est l'autorité suprême du mouvement Kitawala Filadelphie, et tout le monde le sait. Chacun de ses gestes est analysé minutieusement, sa parole est respectée, et son entourage est totalement dédié aux soins apportés quotidiennement aux éléphants.

Les Kitawalas suivent une doctrine qui repose sur une méfiance profonde de la civilisation occidentale et une résistance face à tout ce qui vient de l'Etat congolais. Pour eux, la « la vie naturelle », la vie que menait Jésus de la vie dans les temps bibliques, est considérée à la fois comme un guide de la vie quotidienne et une raison de se protéger contre l'intrusion du monde moderne

Les Kitawalas ne votent pas. Ils n'envoient pas leurs enfants à l'école. Ils n'utilisent pas la médecine moderne, préférant les vertus de concoctions maison et la prière. Ils rejettent la technologie. Les plus radicaux d'entre eux ne portent pas de chaussures ou des ceintures, car la boucle est en fer et que le fer c’est l'homme blanc - qui, à son tour, rappelle les souffrances subies par les Congolais aux mains de l'Occident.

Lorsqu’il est arrivé aux commandes de son église, PP2 était opposé à la vaccination en général, et à la vaccination contre la polio en particulier.

« J'ai refusé le vaccin à cause de Dieu. Dans la Bible, Matthieu parle du roi Hérode. Il avait appris qu’un bébé roi était né dans le pays, et il est allé à l'hôpital. Il y est allé pour tuer tous les enfants âgés de 0 à 5 ans. Epitre de Matthieu, chapitre 1, verset 1 à 50.

« À l'époque, nous avons vu la polio à l'hôpital, nous avons aussi vu le vaccin contre la polio qui était distribué gratuitement. Le vaccin est aussi pour les enfants de 0 à 5 ans. Comment peut-on expliquer cela?

Prise de contact

PP2 a été contacté par l'UNICEF pour la première fois en 2009 ; il n'avait jamais été en contact avec les autorités sanitaires. Il a fallu de nombreux mois pour gagner la confiance de PP2, et comprendre à la fois sa doctrine et les fondements de sa doctrine. Le Roi Eléphant était inébranlable dans ses convictions, mais ouvert au dialogue. En discutant, il a expliqué davantage les raisons pour lesquelles son groupe refusait la vaccination.

« En 1880, quand l'Église est arrivée, on nous a dit d'arrêter nos pratiques de médecine naturelle et les saignées. Les Blancs nous ont dit, 'Arrêtez d'utiliser des médicaments pour vous protéger. Arrêtez-vous de vous protéger. Le seul vrai guérisseur, c’est Dieu’.

« Nous avons donc éliminé nos façons de faires. Et après cela, l'homme blanc est revenu pour nous dire : ‘Allez, cette fois je vais vous donner des médicaments pour vous protéger’. »

Les Kitawalas se méfiaient profondément d’un vaccin qui avait été approuvé par l'Etat congolais et en plus produit en Europe. Leurs inquiétudes ont été encore aggravées lorsque les équipes de vaccination des campagnes marquaient des numéros sur les maisons pour montrer combien d'enfants y avaient été vaccinés. Les Kitawalas ont cité l'Apocalypse et le marquage des maisons. Ils ont appelé cela « la marque de la bête ».

Comprenant désormais mieux les craintes des Kitawalas, l'équipe locale - composée d'un mobilisateur communautaire et du médecin en chef de la région – a partagé sa perspective avec PP2. Une longue discussion a commencé, qui a tourné principalement autour du rôle de la volonté divine dans la mort des enfants. Dieu voulait-il que les êtres humains s’écartent lorsque les enfants mourraient ou étaient paralysés? Ou peut-être que Dieu approuverait l’aide d’une petite dose de vaccin?

Une Bible en swahili est passée de main en main pendant des heures à la fois, pendant des mois et PP2 et les organisateurs communautaires ont discuté de la question. Mais alors même que PP2 lui-même est devenu plus ouvert à l'idée, il a rappelé le défi en vue : changer les attitudes des milliers de personnes nées dans la doctrine Kitawala ne sera jamais facile.

La Partie 2 de cette série s’intéressera à une stratégie de « Cheval de Troie ».