Fabrice Boulé
LAUSANNE, 19.05.05 (InfoSud) - Aujourd'hui, les femmes de l'Est de la RDC sont au plus bas sur l'échelle humaine. Elles sont violées en toute impunité, même par des agents de l'ONU. L'humanitaire suisse Michel Hoffman s'indigne.
"La vie humaine a autant de valeur au Congo qu'au Kosovo", plaidait récemment Jan Egeland, le coordinateur des aides d'urgence de l'ONU. Il se plaignait devant les instances internationales que le monde reste indifférent - et donc avare - face aux très graves crises qui dévorent l'Afrique. Les millions de morts des Grands-Lacs et du Soudan pèsent bien moins lourds que les victimes des conflits est-européens. L'indifférence sera-t-elle ébranlée par les exactions sexuelles massives en République démocratique du Congo ? La RDC héberge depuis plusieurs années la plus grande mission de maintien de la paix jamais conduite par les Nations Unies. Quelque 17'000 hommes en armes ont pour mission de garantir les frontières et de protéger les populations civiles. Mais que fait cette police ? "Des exactions ont lieu sous les yeux mêmes des casques bleus, parfois à quelques centaines de mètres de leurs positions, et ils ne bronchent pas", s'exclame Michel Hoffman, un empêcheur de ronronner dans le milieu humanitaire. Ancien de Terre des Hommes, ancien directeur de la Fondation vaudoise pour l'accueil des requérants d'asile (Fareas), l'homme a l'indignation dans le sang.
Cette fois, il se révolte contre l'"entreprise de démolition du genre féminin" en marche dans la région. Dans les deux provinces du Nord et Sud Kivu, frontalières de l'Ouganda, du Rwanda et du Burundi, Human Rights Watch a dénoncé cette "guerre dans la guerre" : le viol comme arme de destruction massive. Médecins sans frontières a documenté le naufrage économique et social que représente ce déchaînement de violences sexuelles. Les victimes sont des femmes, par milliers voire dizaines de milliers. Des hommes aussi sont violés. Lors de deux voyages dans la région, Michel Hoffman a pu recueillir le témoignage d'une cinquantaine de victimes : des vieilles, des jeunes femmes et des bambines. De 80 à 4 ans ! Pour les aider, des organisations - "quelques cœurs d'or parmi des nuées d'illusionnistes, de charlatans et de vautours" déplore Hoffman - qui travaillent dans le dénuement le plus total. Son association, Vivere, avec d'autres partenaires, les aide à fournir des soins médicaux, un soutien psychologique, une assistance aux victimes qui voudraient porter plainte. La coopération suisse commence elle aussi à financer des activités du même type.
Les bourreaux, eux, sont innombrables : soldats de l'armée plus ou moins régulière, membres de milices nationales ou étrangères qui pullulent dans la région. L'impunité est la règle. Impayés, ces hommes vivent sur la population, pour tous leurs besoins. Des villages entiers sont rançonnés : au menu, viols et assassinats jusqu'au paiement de la somme exigée. Et en plus, des dizaines d'agents de la Mission de l'ONU au Congo (Monuc) ont également commis des abus sexuels. Des soldats, mais aussi des administratifs. Interpellée, l'organisation répond surtout par son silence, évoquant de vagues enquêtes internes. C'est le principal protecteur des civils qui devient harceleur ! Les Congolaises seraient-elles maudites ?
Devant un tel dédain, Michel Hoffman a décidé de soutenir une action en justice contre la Monuc, devant un tribunal d'Uvira au Sud Kivu. Ce n'est pas une affaire de viol mais de balle perdue. Selon de nombreux témoignages, un soldat onusien a tué le 10 octobre 2004 un garçon de 12 ans. Vivere s'en prend donc au symbole de l'engagement international dans le bourbier congolais.
N'y aurait-t-il pas là un malin plaisir à tirer sur l'ambulance ? "Il faut traquer partout l'impunité. Si la Monuc ne parle pas et ne rend pas de comptes, comment peut-elle inspirer une indispensable confiance à la population ?", rétorque Hoffman. Dans l'autre camp, il n'a d'ailleurs pas hésité à aller dire son fait au général Dounia, considéré comme l'un des principaux chefs des Maï Maï, ces combattants congolais mobilisés contre l'occupation étrangère. Arrivé jusqu'à son refuge, au bout d'une presqu'île difficile d'accès, sur le lac Tanganyika, Michel Hoffman lui a rappelé que la Cour pénale internationale va bientôt s'intéresser de près à certains tortionnaires congolais.
Plusieurs organisations réclament maintenant que la Monuc remplisse son mandat avec plus d'assiduité, notamment pour la protection des populations civiles. En février dernier, neuf casques bleus du Bangladesh étaient tués en Ituri. En trois jours, les soldats de la Monuc ont mené une opération énergique, avec l'armée congolaise, contre le bastion de la milice responsable. "La Monuc a eu mal en perdant neuf hommes. Nous aimerions qu'elle ait mal comme ça tous les jours, lorsque des civils sont frappés sous ses yeux", explique le président de Vivere. Le 31 mars, il a adressé une lettre à la Conseillère fédérale Micheline Calmy-Rey. "La Suisse est active et respectable dans le domaine des droits de l'homme. Qu'elle insiste pour que la Monuc protège mieux les civils." La lettre est restée sans réponse pour l'heure.