(Syfia Grands Lacs/RD Congo) A Matadi, à l'extrême-ouest de la RD Congo, les militaires ont troqué leurs fusils contre des balais et des pelles. Encouragés par la prime versée par le maire, qui reçoit une partie des recettes provinciales, ils nettoient la ville et font respecter la propreté à la grande joie des habitants surpris.
La capitale de la province du Bas-Congo, Matadi, s'est réveillée la peur au ventre le 3 mars dernier. Des militaires avaient en effet pris d'assaut tôt le matin ce jour-là, les principales avenues du centre-ville où sont basés les sièges des institutions provinciales et le port, qui fait vivre Matadi. Prise de panique, la population a cru un moment que la ville était assiégée et en insécurité. Très vite cependant la peur s'est dissipée. "Si réellement quelque chose n'allait pas, ils devaient être armés...", avait fait observer, l'air rassuré Elysée Ngoma, une commerçante très connue à Damar, le petit marché du centre-ville.
En lieu et place d'armes, les soldats portaient en effet houes, machettes, pelles, bêches, brouettes et autres outils de sarclage. Ils n'ont pas tardé de passer à l'action. La centaine d'hommes en uniforme qui font partie du Génie militaire, s'est mise à curer les caniveaux de l'avenue Mpolo qui mène jusqu'au port, à abattre les vieux arbres le long des avenues et à évacuer une montagne d'immondices puantes située entre le building Dragage et l'immeuble servant de résidence aux éléments de la Police d'intervention rapide (PIR). D'autres ont commencé à démolir les kiosques et hangars de fortune et à démanteler les marchés pirates érigés sans aucun souci des normes urbanistiques et de la salubrité publique.
Le commandant de l'opération, le lieutenant-colonel Jonas Kabongo rassure : "Nous ne brutalisons pas, dit-il. Après le choix d'un site à assainir, nous sensibilisons la population et accordons un délai de 7 à 10 jours à ceux qui sont en infraction pour qu'ils se mettent en ordre. Dépassé ce délai, les récalcitrants nous trouvent sur leur chemin..." Tout le monde, même les épouses des militaires généralement récalcitrantes obéissent, de peur d'être pénalisé. Car les sanctions peuvent aller jusqu'à l'emprisonnement des fautifs.
Propre grâce aux recettes
Depuis le début de l'opération, l'ordre et la propreté règnent désormais le long des avenues, sur les trottoirs où les gens avaient l'habitude de construire des kiosques, d'étaler la marchandise et de jeter toutes sortes de déchets. De nombreux vendeurs informels se sont dans le même temps résolu à prendre des étals au marché central de la ville. "Je ne voulais pas au départ abandonner ma place en ville où je m'étais déjà fait une nombreuse et fidèle clientèle, avoue Carine Massamba, une vendeuse de viande en face du magasin ex-JVL. Grâce aux conseils des militaires, je dispose maintenant de mon propre pavillon au marché central. Je m'y sens à l'aise, car je ne suis plus exposée aux risques des accidents de la circulation routière".
Au centre-ville, les populations riveraines de la cathédrale Notre Dame la Médiatrice, de l'Hôtel des postes et du tronçon menant vers la gare de l'Office national des transports (ONATRA) affirment respirer à présent un air sain. Fort du succès que récolte l'opération, le maire de la ville, Jean-Marc Nzeyidio Lukombo qui l'a initiée veut maintenant aller plus loin. "D'ici peu, je vais larguer ces braves soldats dans les communes de Nzanza et Mvuzi", qui abritent les quartiers populeux de Matadi.
Ces travaux d'assainissement de la ville portuaire sont rendus possibles grâce à la rétrocession, depuis peu, d'une partie des recettes fiscales du gouvernorat de province à la mairie. Ce qui permet de payer une prime mensuelle de 9 000 Fc (17$) aux militaires qui complète leur maigre solde. Ils bénéficient aussi d'un petit-déjeuner chaque matin et d'un repas à midi. "Je veux désormais m'organiser pour la survie de ma famille", confie l'adjudant Jean Kukuikila, qui se réjouit de ne plus passer son temps à se tourner les pouces dans sa caserne.
La peur du gendarme...
L'équipe du Génie militaire est toute fière du travail abattu. Non seulement elle participe à l'embellissement de la ville, mais elle améliore aussi l'image des soldats vis-à-vis de la population. "Je me suis rendu compte que j'étais un grand malfaiteur qui ne laissait pas la population tranquille...", regrette l'un d'eux, jurant de ne plus se laisser entraîner dans ce genre de "bêtises" pour honorer son corps de métier.
Auparavant, des travaux d'assainissement de ce type avaient été tentés, notamment avec des associations locales Bio-Plus ou Matadi-Propre. Mais ils n'avaient guère donné des résultats. Car les marchands et vendeurs de rue évacués des trottoirs et autres places publiques, y revenaient toujours 48 heures plus tard ! "La peur du gendarme est sans doute pour beaucoup dans la réussite de l'opération", font remarquer les Matadiens.