par JUSTINE MOUNET
INTERVIEW D’EXPERT – A l’occasion de la Journée internationale de lutte contre l’utilisation des enfants soldats, Sabrina Cajoly, coordinatrice du Groupe de Travail sur la Protection de l’Enfant, répond à six questions pour mieux comprendre la problématique des enfants dans les forces et groupes armés en RDC.
1- Y a-t-il encore des enfants dans les forces et groupes armés en RDC?
En RDC, des milliers d’enfants ont été recrutés et utilisés dans les conflits armés par les forces armées et les groupes armés. Depuis 2015, selon le Mécanisme des Nations Unies chargé de surveiller les violations graves faites aux enfants dans les conflits armés[1], aucun cas de recrutement par les FARDC n’a été documenté. En revanche, les groupes armés continuent à recruter et à utiliser les enfants, générant une violence chronique qui se perpétue de génération en génération. Ils sont principalement utilisés comme combattants, porteurs et esclaves sexuels. En conséquence, ces enfants sont séparés de leur famille, privés de leur droit à l’éducation et exposés à des traumatismes physiques et émotionnels importants. Le gouvernement estime à 3662 le nombre d’enfants concernés par le recrutement et l’utilisation par les groupes armés[2].
2- Qu’est-ce qui est fait pour prévenir et mettre fin au recrutement d’enfants dans les forces et groupes armés?
Outre la ratification de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant en 1990, la RDC a adopté en 2009 la «Loi portant protection de l’enfant» qui criminalise le recrutement et l’utilisation d’enfants par les forces armées et les groupes armés, renforçant ainsi le Statut de Rome créant la Cour Pénale Internationale et qui a été ratifié par la RDC en 2002.
En 2012, le Gouvernement de la RDC a signé avec les Nations Unies un Plan d’Action pour prévenir et mettre fin au recrutement et à l’utilisation des enfants ainsi qu’aux autres violations graves des droits des enfants commises par les forces de sécurité. Depuis lors, pour mettre en œuvre ce Plan, le Gouvernement a pris une série de mesures qui ont conduit, depuis deux ans, à la cessation du recrutement d’enfants par les FARDC.
L’action continue et pour prévenir l’apparition de nouveaux cas, par exemple, début 2017, le Gouvernement a donné la directive à tout le personnel des FARDC de respecter la procédure opérationnelle standard adoptée en avril 2016 sur la vérification de l’âge des membres des FARDC. Cette procédure est un outil de prévention du recrutement qui est désormais systématisé à tous les niveaux de l’armée.
3- Comment aide-t-on ces enfants à se réinsérer dans la société?
En 2016, grâce à l’action de l’UNICEF et de ses partenaires, 3 442 enfants (dont 478 filles) ont quitté des groupes armés dans les zones touchées par le conflit, ont bénéficié d’une prise en charge transitoire et ont pu être réunifiés avec leurs familles. En outre, 1274 sortis des groupes armés ont reçu un soutien à la réintégration par l’école, l’accès à une formation professionnelle ou à des activités génératrices de revenus.
A la sortie des groupes armés, les enfants sont pris en charge par des professionnels dans des structures d’encadrement spécialisées appelées Centres Transitoires et d’Orientation ou dans des Familles d’Accueil Transitoires. Ils y séjournent en moyenne trois mois au cours desquels ils reçoivent des vêtements et soins d’hygiène élémentaires, une attention médicale, des cours de rattrapage scolaire ainsi qu’un appui psychosocial notamment à travers des activités ludiques et sportives. A l’issue de cette phase de transition, ils sont réunifiés avec leurs familles et, dans la mesure du possible, bénéficient de programmes d’intervention visant leur réinsertion dans le système scolaire ou dans la vie sociale et économique à travers des formations à vocation professionnelle, tout en s’efforçant de favoriser un sentiment d’acceptation au sein des communautés dans lesquelles ces enfants sont réinsérés.
Toutefois il faut noter que, en 2016, faute de ressources suffisantes, plus de 2100 enfants sortis des groupes armés restent en attente de réintégration. A ceux-ci s’ajoute un nombre équivalent d’enfants dits ‘vulnérables’, affectés par le conflit qui, au titre des Principes de Paris[3], devraient bénéficier du même soutien que les enfants sortis des groupes armés afin que les programmes de réintégration soient inclusifs. Au total, en tenant compte des enfants qui n’ont pas pu recevoir une aide les années précédentes, ce sont plus de 4500 enfants sortis des groupes armés et un nombre équivalent d’enfants touchés par les conflits qui attendent encore une réintégration complète, faute de financement[4].
4- Aujourd’hui quels sont les grands défis pour prévenir et mettre fin au recrutement d’enfants dans les groupes armés?
Le recrutement et l’utilisation d’enfants par les groupes armés demeurent un défi majeur, notamment parce que les groupes armés et les milices informelles ne cessent de se multiplier, ce qui prolonge la crise, la rend plus complexe et l’étend même à des zones non traditionnellement affectées par les conflits. Or, il est difficile d’établir un dialogue avec les groupes armés et de poursuivre en justice ceux qui recrutent et utilisent des enfants. Et surtout, il est difficile de garantir la réintégration pérenne des enfants autrefois associés aux groupes armés en l’absence d’une paix durable.
En outre, la pauvreté extrême des familles demeure une cause profonde et le principal levier du recrutement forcé et volontaire des enfants. Ce constat appelle un vaste programme de développement économique pour les zones touchées par les conflits. Le soutien individuel aux enfants et à leurs familles devrait idéalement être lié à des programmes de réduction de la pauvreté à l’échelle de la communauté afin d’être durable et considérée comme un véritable dividende de la paix.
5- Comment la problématique des enfants dans les groupes armés s’articule avec les autres défis de protection en RDC?
La problématique des enfants associés aux groupes armés s’inscrit dans un panorama de problématiques de protection plus larges et plus complexes dans un pays où, de façon presque inaperçue, le nombre des personnes déplacées internes est passé de 1,6 à 2,1 millions et le nombre de groupes armés de 50 à 70[5]. La réponse aux multiples besoins de protection des enfants dans ce contexte nécessite la mobilisation de plus d’intervenants étatiques et non étatiques, internationaux comme nationaux.
C’est à ce besoin que le Groupe de Travail sur la Protection de l’Enfance (GTPE) s’efforce de répondre. Le GTPE est le forum chargé de la coordination des actions concernant la protection de l’enfance dans les situations d’urgence, sous la direction de l’UNICEF et la co-direction du Gouvernement et de Save The Children. Constituant un « domaine de responsabilité» du Cluster Protection, il réunit mensuellement Ministère des Affaires Sociales, Action Humanitaire et Solidarité Nationale, organisations non-gouvernementales (internationales et nationales), agences des Nations Unies, et bailleurs de fonds directement impliqués dans des projets de protection de l’enfance en situation d’urgence avec l’objectif de garantir des interventions plus prévisibles, responsables et efficaces. Pour ce faire, le GTPE suit et promeut les « Standards Minimums pour la protection de l’enfance dans l’intervention humanitaire », lancés en 2010 comme outil global guidant les activités de protection de l’enfant. En RDC depuis 2009, le GTPE national, basé à Kinshasa, en étroite collaboration avec les 18 GTPE sous-nationaux, coordonne les stratégies de prévention et de réponse visant à réduire les situations d’abus, de négligence, d’exploitation et de violence, dont sont victimes les enfants dans des contextes d’urgence et de transition, y compris les enfants associés aux groupes armés.
En pratique, les membres des GTPE se réunissent régulièrement pour échanger des informations sur les urgences humanitaires qui touchent les enfants en RDC et pour décider collectivement de ce qui peut être fait, où, par qui, quand et comment, pour remédier aux problèmes de protection. Par exemple, une ONG nationale membre a récemment produit et diffusé un dépliant visant à informer et à sensibiliser les populations vivant dans les zones touchées par les conflits en RDC sur les risques liés au recrutement et à l’utilisation des enfants en vue de contribuer à prévenir ce phénomène et à combattre l’impunité.
6- En tant que coordinatrice du Groupe de Travail sur la Protection de l’Enfant, quel est le message que vous voulez diffuser pour la Journée internationale de lutte contre l’utilisation des enfants soldats ?
“Une seule main n’attache pas un fagot de bois”, dit le proverbe africain. Autrement dit, l’union fait la force. Il est important que tous les acteurs de protection de l’enfant, qu’ils soient issus du Gouvernement, des organisations internationales et des ONG nationales ou internationales unissent leurs forces, bénéficient d’un appui financier adéquat, et coordonnent leurs actions afin de protéger efficacement les enfants du conflit armé et que la campagne mondiale ‘Des enfants, pas des soldats’ devienne une réalité en RDC.
[1] Mécanisme de surveillance et de communication de l’information sur les violations graves commises contre des enfants lors des conflits armés (‘Monitoring and Reporting Mechanism – MRM’, en anglais), créé en 2005 par la Résolution 1612 du Conseil de sécurité des Nations Unies.
[2] Troisième phase du programme national de Démobilisation, désarmement et réinsertion (DDR III), juillet 2015.
[3] Principes directeurs relatifs aux enfants associés aux forces armées ou aux groupes armés, dits Principes de Paris, 2007.
[4] Source: UNICEF
[5] Source: Aperçu des Besoins Humanitaires 2017-2019
Plus d’informations sur les enfants soldats en RDC
Merci aux coopérations suédoise (SIDA), américaine (USAID), canadienne (ACDI/CIDA), japonaise (JICA), néerlandaise, belge ainsi qu’à l’UNICEF France, AMADE Mondiale, UNICEF Allemagne et l’aide antérieure du CERF pour leur soutien aux programmes d’assistance aux enfants anciennement associés aux forces et groupes armés.