Résumé
En janvier 2009, la République démocratique du Congo et le Rwanda, à la suite d'un changement brusque des alliances politiques, ont déclenché des opérations militaires conjointes dans l'est du Congo contre une milice hutue rwandaise coupable d'exactions et dont certains dirigeants avaient participé au génocide rwandais en 1994. Les opérations avaient pour but de neutraliser ce groupe, les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), qui depuis quinze ans s'en prenait aux civils dans les provinces montagneuses du Nord et du Sud Kivu.
Les représentants du gouvernement ont affirmé que les opérations apporteraient la paix et la sécurité à cette région. Elles ne l'ont pas fait. Les deux opérations militaires congolaises successives -l'une menée avec les forces militaires rwandaises, connue comme l'opération Umoja Wetu, et la seconde menée avec le soutien direct des soldats de maintien de la paix des Nations Unies, connue comme l'opération Kimia II- se sont accompagnées d'atrocités commises tant par les forces gouvernementales que les forces rebelles contre une population civile dans l'est du Congo qui n'a déjà que trop souffert.
Les attaques contre les civils ont été brutales et généralisées. Les populations locales ont été accusées d'être des « collaborateurs » par l'un et l'autre camp et prises délibérément pour cible, leurs agresseurs disant qu'elles étaient « punies ». Human Rights Watch a documenté les meurtres délibérés de plus de 1 400 civils entre janvier et septembre 2009, pour la plupart des femmes, des enfants et des personnes âgées. Ces attaques se sont accompagnées de viols. Dans une région déjà connue comme le « pire endroit au monde pour une femme ou un enfant », la situation s'est encore détériorée. Pour les neuf premiers mois de 2009, plus de 7 500 cas de violences sexuelles contre des femmes et des filles ont été répertoriés dans des centres de soins du Nord et du Sud Kivu, soit près du double qu'en 2008, et ces cas ne représentent probablement qu'une fraction du nombre total de cas.
Les exactions ne se sont pas limitées à des meurtres et à des viols. Des milliers de civils ont été enlevés et contraints à du travail forcé, notamment au transport d'armes, de munitions ou d'autres bagages en terrain dangereux, par les forces gouvernementales et les milices FDLR tandis qu'elles se déplaçaient d'un endroit à l'autre. Certains civils ont été tués pour avoir refusé. D'autres sont morts parce que les charges qu'ils avaient été contraints à transporter étaient trop lourdes. Entre janvier et septembre, les attaques ont forcé plus de 900 000 personnes à fuir pour sauver leur vie, cherchant refuge dans les forêts reculées, auprès de familles d'accueil ou dans des camps pour personnes déplacées. Durant les attaques ou lors de la fuite de ces civils, les combattants FDLR ou les soldats de l'armée congolaise ont pillé leurs biens puis ont brûlé leurs maisons et leurs villages. Plus de 9 000 maisons, écoles, lieux de culte et autres structures ont été réduites en cendres dans le Nord et le Sud Kivu. De nombreux civils, déjà pauvres, se sont retrouvés totalement démunis.
Les civils ont été pris pour cible par tous les belligérants : les FDLR, l'armée congolaise et, dans certains cas, l'armée rwandaise. Les civils comptent sur la mission de maintien de la paix de l'ONU au Congo, la MONUC, pour une protection désespérément nécessaire. La MONUC dispose d'un mandat fort du Conseil de sécurité de l'ONU qui l'autorise à protéger les civils et à recourir à l'usage de la force pour ce faire, mais elle est devenue partenaire de l'armée congolaise dans les opérations militaires, et n'a pas réussi à mettre en place des mesures suffisantes pour la protection des civils avant le déclenchement des opérations. Les soldats du maintien de la paix ont fait des efforts notables pour protéger les civils ; ces soldats ont indubitablement contribué à sauver des vies, mais dans de nombreux cas ils sont arrivés trop tard ou pas du tout, laissant les populations locales exposées aux attaques sans qu'elles sachent vers où aller.
La première opération militaire, Umoja Wetu (« Notre unité » en swahili), a débuté le 20 janvier 2009, après un accord secret entre le Président congolais Joseph Kabila et son homologue rwandais, le Président Paul Kagame. Cet accord a abouti à la destitution du chef rebelle congolais Laurent Nkunda, dont le groupe armé, le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), avait reçu un soutien substantiel du Rwanda et avait vaincu l'armée congolaise dans des batailles successives en 2007 et 2008. Les autorités rwandaises ont arrêté Nkunda et ont promu à sa place Bosco Ntaganda, le chef d'état-major militaire du CNDP. Ntaganda a rapidement accepté d'intégrer ses troupes dans l'armée congolaise et a abandonné la rébellion du CNDP.
En échange de l'aide du Rwanda pour écarter la menace du CNDP, le Président Kabila a autorisé les troupes rwandaises à retourner dans l'est du Congo et à mener des opérations conjointes contre les FDLR. Ntaganda, qui a un passé reconnu de violations des droits humains et qui se trouve sous le coup d'un mandat d'arrêt émis par la Cour pénale internationale (CPI) à la Haye, a été promu au grade de général de l'armée congolaise. Environ 4 000 soldats rwandais, et peut-être bien davantage, ont alors franchi la frontière pour entrer dans l'est du Congo, où ils sont restés 35 jours.
Après le départ des troupes rwandaises le 25 février à la fin de l'opération Umoja Wetu, les autorités rwandaises et congolaises ont souligné que les opérations militaires n'étaient pas achevées. Elles ont insisté pour que la MONUC joigne ses forces à celles de l'armée congolaise pour en finir avec les FDLR. La MONUC avait été autorisée par le Conseil de sécurité de l'ONU à appuyer les opérations militaires contre les FDLR en décembre 2008 et à y participer, tant que ces opérations étaient menées en accord avec les lois de la guerre. Mais la MONUC avait été délibérément exclue de l'opération Umoja Wetu et de nombreux fonctionnaires de l'ONU étaient profondément préoccupés par la tournure des événements qui avaient vu le retour des forces rwandaises sur le sol congolais. Selon des membres de la MONUC, les dirigeants de la MONUC étaient préoccupés par les conséquences de leur éventuelle exclusion d'opérations militaires futures, par un retour des troupes rwandaises s'ils n'intervenaient pas et ils étaient sûrs que les civils seraient mieux protégés si les soldats du maintien de la paix faisaient partie des opérations militaires -aussi la MONUC at-elle accepté de soutenir l'armée congolaise.
Dans les préparatifs précipités qui ont suivi, les fonctionnaires de la MONUC n'ont pas fixé de conditions claires à leur soutien, n'ont pas insisté sur le retrait des rangs de l'armée congolaise d'auteurs connus de violations des droits humains, et ne se sont pas suffisamment préparés pour la protection de la population civile. Le 2 mars, l'armée congolaise, avec le soutien direct des soldats du maintien de la paix de la MONUC, ont déclenché l'opération Kimia II (« silence» en swahili), opération toujours en cours au moment de la rédaction de ce rapport.
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