I. Introduction
1. Le présent rapport est soumis en application de la résolution 2704 (2023), par laquelle le Conseil de sécurité a reconduit le mandat de la Mission de vérification des Nations Unies en Colombie, et de la résolution 2366 (2017), par laquelle il m’a prié de lui faire rapport, tous les 90 jours, sur l’exécution du mandat de la Mission. Le rapport couvre la période allant du 27 juin au 26 septembre 2024.
II. Principaux faits nouveaux
2. Le Gouvernement du Président Gustavo Petro, qui est parvenu à la moitié de son mandat quadriennal au mois d’août, a continué de s’employer à instaurer une paix globale et durable en appliquant pleinement l’Accord final pour la fin du conflit et la construction d’une paix stable et durable et en réglant les conflits restants par le dialogue. Le 7 août, lors de son allocution annuelle, le Président a présenté les avancées obtenues à ce jour par son gouvernement et les priorités pour la période à venir, citant notamment la réduction des taux d’homicide, de pauvreté et de déforestation. Il a souligné qu’un nouvel élan avait été trouvé dans l’application de l’Accord final, mis en exergue les progrès accomplis en matière de réforme rurale et exprimé sa frustration face aux obstacles juridiques qui empêchent une redistribution plus rapide des terres. Il a demandé au Congrès de soutenir les réformes visant à accélérer ce processus.
3. En juillet, M. Petro a nommé de nouveaux ministres de l’intérieur, de la justice, de l’éducation, de l’agriculture, du logement et des transports. Face aux critiques concernant les faibles taux d’exécution du budget, le Président a déclaré que les nouveaux ministres devaient donner la priorité à l’exécution effective des plans et budgets du Gouvernement. Il convient de noter la nomination au poste de Ministre de l’intérieur de Juan Fernando Cristo, qui avait déjà occupé les mêmes fonctions sous l’administration de l’ancien Président Juan Manuel Santos et avait assumé d’importantes responsabilités dans la phase initiale de l’application de l’Accord final. M. Cristo a été chargé de coordonner et d’accélérer l’application de l’Accord final. Comme l’avaient annoncé M. Petro et le Ministre des affaires étrangères, Luis Gilberto Murillo, dans le cadre de la dernière séance du Conseil de sécurité sur la Colombie tenue en juillet, le Ministère de l’intérieur a entrepris d’élaborer un plan d’intervention rapide pour l’application de l’Accord final en mettant l’accent sur les programmes de développement territorial, la répartition des terres et les garanties de sécurité.
4. Des progrès notables ont été observés dans certains domaines de l’application de l’Accord final, et des avancées limitées dans d’autres. Le Gouvernement a publié plusieurs règlements essentiels pour le processus de réintégration pour renforcer les efforts de mise en œuvre à l’aide d’une coordination accrue (voir par. 29). En août, M. Petro a présidé une séance plénière de la Commission nationale des garanties de sécurité et du Groupe de haut niveau du Système général de sécurité pour l’exercice de la liberté politique afin de faciliter la mise en œuvre de la politique de démantèlement des groupes armés illégaux et des organisations criminelles sur le territoire (voir par. 41). Les progrès réalisés dans la mise en œuvre du chapitre consacré aux questions ethniques ont été limités, la plupart des processus n’en étant encore qu’à leurs débuts (voir par. 59).
5. Le Gouvernement a continué de travailler à son ambitieux objectif consistant à maintenir des processus de dialogue simultanés avec divers acteurs armés : neuf initiatives de ce type sont en cours. Les pourparlers de paix officiels se sont poursuivis avec l’Armée de libération nationale (ELN), les factions du groupe connu sous le nom d’État-major central des Forces armées révolutionnaires de Colombie–Armée populaire (EMC FARC-EP), et le groupe connu sous le nom de Segunda Marquetalia. Un processus a également été mis en place avec les Comuneros del Sur, un groupe dissident de l’ELN. Le Gouvernement considère ces groupes comme des groupes politiques. Des dialogues socio-juridiques, qui constituent le cadre employé aux fins de la possible soumission à la justice d’organisations criminelles, étaient également en cours à Buenaventura, Medellín et Quibdó. En outre, le Gouvernement a établi deux nouveaux dialogues de ce type, l’un avec le groupe connu sous le nom d’Autodefensas Gaitanistas de Colombia ou de Clan del Golfo, et l’autre avec les Autodefensas Conquistadoras de la Sierra Nevada.
6. Les négociations entre le Gouvernement et l’ELN sont restées au point mort : aucune réunion n’a eu lieu entre les parties depuis le 25 mai, et la mise en œuvre de l’accord sur la participation de la société à la consolidation de la paix n’a pas progressé. La période considérée a été marquée par des échanges publics tendus entre les parties concernant le défaut présumé d’application de leurs accords partiels. Toutefois, les deux parties ont continué de souligner leur engagement en faveur de la paix et leur volonté de reprendre les pourparlers sous certaines conditions et d’envisager le renouvellement du cessez-le-feu bilatéral, qui a expiré le 3 août (voir par. 71).
7. Le cessez-le-feu n’ayant pas été prolongé d’un commun accord, l’ELN a annoncé le 6 août sa décision unilatérale de ne pas mener d’opérations militaires contre les forces de sécurité publique jusqu’au 23 août, décision qui a été largement respectée. Toutefois, certains actes de violence impliquant l’ELN et les forces de sécurité publique, qui avaient disparu pendant le cessez-le-feu d’un an, se sont produits par la suite dans les départements d’Antioquia, d’Arauca, du Cauca et de Norte de Santander, entraînant la perte de vies des deux côtés.
8. Pendant le cessez-le-feu bilatéral, le canal de communication nationale du mécanisme de contrôle et de vérification du cessez-le-feu a aidé à éviter 61 contacts armés entre les parties. Des organisations de la société civile et des autorités locales ont demandé à de nombreuses occasions la reprise des négociations et du cessez -lefeu. Le Représentant spécial du Secrétaire général, l’Église catholique et les pays garants ont continué de dialoguer avec les deux parties pour les aider à sortir de cette impasse.
9. Le dialogue entre le Gouvernement et les factions de l’EMC FARC-EP s’est poursuivi. Une cinquième série de pourparlers a eu lieu en juillet, et des accords ont été conclus concernant la teneur des négociations et le lancement d’un processus de géoréférencement. Ce processus vise à clarifier la présence du groupe sur le terrain, facilitant ainsi le suivi et la vérification au niveau local. En juillet également, le Gouvernement a publié un décret par lequel il a prolongé de trois mois le cessez -lefeu avec ces factions et dans lequel il a mis l’accent sur le respect de la vie et de l’intégrité des communautés rurales. Le mécanisme de surveillance, de contrôle et de vérification du cessez-le-feu a maintenu des canaux de communication actifs et indiqué avoir empêché deux affrontements armés entre les parties. Le mécanisme a rapporté qu’au moins trois personnes retenues en otage par l’EMC FARC-EP avaient été libérées. Toutefois, les activités en personne menées dans le cadre du mécanisme n’ont repris que le 24 septembre, en partie en raison du fait que les autorités compétentes ont tardé à lever les mandats d’arrêt contre les représentants de l’EMC FARC-EP.
10. Le 29 juin, le Gouvernement et la Segunda Marquetalia ont conclu le premier cycle de dialogues à Caracas. Les parties sont convenues que les pourparlers se feraient sur un modèle consistant à appliquer les accords à mesure qu’ils sont conclus, tout en continuant les négociations en parallèle. Elles ont décidé d’établir une souscommission qui travaillera sur un processus de géoréférencement. Des mesures humanitaires ont également été convenues. Toutefois, les négociations se sont heurtées à un certain nombre d’obstacles, notamment en ce qui concerne la situation juridique des membres du groupe.
11. En août, le bureau du Conseiller pour la paix a annoncé le lancement d’un processus visant à travailler conjointement avec les Comuneros del Sur à la consolidation de la paix territoriale dans le département de Nariño. Des groupes de travail ont été créés et seront chargés d’examiner les projets et les problèmes potentiels au niveau local, tels que le déminage et le dépôt d’armes.
12. Les dialogues avec des groupes armés locaux opérant en milieu urbain ont donné des résultats positifs. Le bureau du Conseiller pour la paix a signalé une réduction notable des homicides à Buenaventura (86 %) et à Quibdó (54 %) au cours du premier semestre de 2024 par rapport à la même période en 2023.
13. Le Gouvernement a désigné ses représentants aux négociations nouvellement annoncées avec les Autodefensas Gaitanistas de Colombia et les Autodefensas Conquistadoras de la Sierra Nevada. Ces négociations ont notamment pour objectif initial d’évaluer la volonté de paix des deux groupes ainsi que d’étudier les conditions auxquelles ceux-ci pourraient se soumettre à la justice. Sur ce dernier point, les Autodefensas Gaitanistas de Colombia maintiennent que leurs négociations doivent être reconnues comme politiques. Le groupe a nommé ses propres représentants et les mandats d’arrêt dont trois d’entre eux faisaient l’objet ont été suspendus. L’une des difficultés les plus importantes pour le Gouvernement en ce qui concerne les dialogues socio-judiciaires, tant en milieu urbain qu’avec les Autodefensas Gaitanistas de Colombia et les Autodefensas Conquistadoras de la Sierra Nevada, est l’absence d’un cadre juridique clair.
14. La stratégie du Gouvernement se caractérise de plus en plus par une approche territoriale de la consolidation de la paix, qui met l’accent sur la mise en œuvre progressive de mesures visant à apporter des dividendes de paix tangibles aux niveaux local et régional. Le plan d’intervention rapide du Ministère de l’intérieur se concentre sur la revitalisation des programmes de développement territorial au moyen de pactes territoriaux dirigés par le Gouvernement national. Ceux-ci visent à définir les priorités en matière d’investissement de concert avec les communautés et les parties prenantes, notamment les autorités régionales et locales. En ce qui concerne le processus avec l’Armée de libération nationale, l’accord sur la participation de la société à la consolidation de la paix signé par les parties en mai vise à promouvoir l’obtention de résultats à l’aide de consultations structurées au niveau territorial. Des approches similaires ont été suivies dans le cadre du processus engagé avec les structures de l’EMC FARC-EP qui participent encore aux négociations.
15. Malgré les efforts déployés pour résoudre les conflits, la situation est restée difficile pour les communautés vivant dans des zones où différents acteurs armés sont présents. Les conflits qui opposent ces derniers continuent d’entraîner des déplacements de population, des confinements et des restrictions de mobilité dans diverses régions (voir par. 45).
16. Le 20 juillet, M. Petro s’est adressé au Congrès à l’occasion de l’ouverture d’une nouvelle session législative. Il a annoncé que parmi les priorités du Gouvernement figuraient des projets de loi visant à promouvoir la réactivation économique et les réformes sociales, ainsi qu’à renforcer l’Accord final. Certains membres de l’opposition ont profité de cette occasion pour formuler des critiques concernant les questions économiques, la politique de paix totale et la détérioration des conditions de sécurité dans certaines régions. En août, les ministres de l’agriculture, de la justice et de l’intérieur ont participé à la présentation formelle du projet de loi réglementant les aspects opérationnels et procéduraux de la juridiction agraire devant le Congrès.
17. La nouvelle Défenseuse du peuple, Iris Marín, a pris ses fonctions en août, après avoir été élue par le Congrès à partir d’une liste exclusivement féminine présentée par M. Petro. Elle est la première femme à diriger cette institution clé, créée en 1991, pour la défense des droits humains et la promotion de la paix.