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Tchad : Se protéger, oui, mais contre qui ?

GOZ AMIR, 19 juin 2007 (IRIN) - Les actes de violence sont monnaie courante, dans l'est du Tchad, ces trois dernières années. En décembre dernier, des hommes armés montés à cheval ont pris d'assaut le camp de réfugiés de Goz Amir, abattant et tuant à coups de machettes au moins 15 hommes et femmes. Comme c'est le cas pour beaucoup de ces attaques, l'identité des attaquants et leurs motivations n'étaient pas connues.

Des réfugiés avaient demandé au Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) de les réinstaller dans un endroit plus sûr, à l'ouest du Dar Sila, dans la localité de Goz Amir, située dans l'est du Tchad près de la frontière avec la région soudanaise du Darfour, et où ont eu lieu les plus importants déplacements de population et quelques unes des plus graves exactions contre des civils.

Ibrahim Haroon Diridj, le représentant du camp de réfugiés, a déclaré qu'il connaissait l'identité des auteurs de ces violences. Il les a désignés sous la dénomination de « janjawid », le nom donné aux milices arabes du Darfour.

Ce sont les janjawids qui ont, au départ, poussé ces réfugiés à fuir le Soudan, a-t-il dit. « Aujourd'hui, nos agresseurs traversent la frontière pour venir nous attaquer de nouveau, ici, dans l'est du Tchad ».

Mais à Goz Amir, tout le monde n'est pas si sûr qu'il s'agisse bien des janjawids. Certes, il est incontestable que les janjawids ont à plusieurs reprises traversé la frontière, en provenance du Darfour, et qu'ils aggravent les violences qui secouent l'est du Tchad.

Pourtant, de nombreux travailleurs humanitaires et autres observateurs disent s'être rendu compte qu'une grande partie des violences commises dans la région est du Tchad sont en fait intérieures.

A l'heure actuelle, les solutions proposées consistent, entre autres, à éloigner les réfugiés de la frontière soudanaise en les réinstallant plus à l'ouest, ou encore à protéger la frontière en y postant des Casques bleus, comme l'a suggéré le Conseil de sécurité des Nations Unies.

Or, si ces violences sont bel et bien internes, il est peu probable que ces solutions permettent d'apaiser les violences dans l'est du Tchad, où non seulement 235 000 réfugiés soudanais sont menacés, mais aussi plus de 140 000 Tchadiens ont à ce jour été déplacés en raison des violences.

En découvrant les commanditaires de telles attaques, notamment celle de Goz Amir, la communauté internationale pourra enfin savoir à qui elle aura affaire si elle décide finalement d'envoyer une mission dans la région pour tenter de préserver la paix.

Ce que pensent les communautés noires des Arabes

Tandis que les tensions entre les gouvernements soudanais et tchadien ont récemment donné lieu à des affrontements directs entre leurs deux armées, et alors qu'une myriade de milices et de groupes rebelles circulent entre le Darfour et l'est du Tchad, ce sont les affrontements entre les communautés locales qui ont eu l'impact le plus néfaste sur les civils, selon les travailleurs humanitaires.

Ces conflits intercommunautaires localisés sont devenus plus fréquents ces 12 derniers mois. Ils ne sont pas motivés par des revendications politiques explicites.

La plupart de ces conflits opposent les communautés dites « arabes » aux populations dites « noires », mais comme les deux groupes ont la peau foncée et sont musulmans, il est parfois difficile de faire la différence.

« Les étrangers ne se rendent pas compte que nos identités noire et arabe sont souvent fluides », a expliqué Saïd Ibrahim Mustapha, l'ancien sultan du Dar Sila, qui jouit d'un grand respect de la part de nombreux travailleurs humanitaires opérant dans la région. « Nous nous considérons comme arabes ou comme noirs - ou même les deux, parfois - en fonction des circonstances ».

Ces circonstances ont de toute évidence changé ces derniers temps, en partie du fait de la présence des janjawids. A l'heure actuelle, pendant que l'armée est occupée à combattre les rebelles, les janjawids peuvent circuler librement dans l'est du Tchad et prendre d'assaut les villages qui se trouvent à la frontière et jusqu'à Goz Amir, situé 90 kilomètres plus loin, voire plus à l'ouest encore, à l'intérieur du territoire tchadien, a expliqué à IRIN M. Diridj, le chef des réfugiés soudanais de Goz Amir.

M. Diridj a également raconté le chaos qui avait suivi l'arrivée soudaine, à Goz Amir, de 2 000 hommes armés montés à cheval, près de l'école située à la lisière du camp.

Il a montré deux fosses communes où il a dit avoir aidé à enterrer 15 corps. « Nous étions tous tellement bouleversés que nous souhaitions juste enlever lescadavres aussi vite que possible ».

A l'en croire, une attaque pourrait se produire de nouveau à n'importe quel moment.

« Au camp, de nombreuses personnes ont si peur qu'elles ont enterré tous leurs objets de valeur de sorte que lors d'une prochaine attaque, au moins, ceux qui survivront n'auront pas tout perdu », a-t-il raconté.

D'autres réfugiés de Goz Amir ont tout simplement fui. « Légalement, le gouvernement ne nous autorise pas à nous déplacer à plus d'un kilomètre du camp, mais les gens ont généralement moins de problèmes avec les autorités tchadiennes qu'avec les milices janjawids », a-t-il ajouté.

A quelques kilomètres à l'ouest du camp de réfugiés, un village arabe composé de cases en terre battue, dont un grand nombre ont été détruites semble abandonné, à l'exception d'un groupe d'hommes blottis sous un dais de paille. L'un d'eux s'est présenté sous le nom de Zakaria Yacob, chef du village.

Il a expliqué que la plupart des habitants avaient quitté le village parce que des déplacés noirs tchadiens et des réfugiés noirs soudanais volaient leurs animaux domestiques et les harcelaient.

A propos des attaques menées contre les réfugiés, M. Yacob a affirmé que « ce ne sont pas les janjawids qui les ont attaqués. C'est nous ».

Ce que pensent les communautés arabes des Noirs

« Cette année a été très difficile », a-t-il commencé par expliquer. « Les communautés noires et arabes vivaient en harmonie dans l'est du Tchad depuis plusieurs générations. Ce n'est plus le cas aujourd'hui ».

Les problèmes ont commencé en avril 2006, lorsque les janjawids soudanais ont attaqué non pas Goz Amir mais Koukou, une ville située plus à l'ouest.

« A compter de ce jour, les autorités locales de la région ont commencé à arrêter les arabes sans discernement, bien que nous n'ayons rien à voir avec les janjawids », a-t-il expliqué. « Ils ont mis en prison les membres de nos communautés, les ont battus et torturés. Certains, à qui l'on avait attaché des sacs de poivre en poudre autour de la tête, sont morts asphyxiés ».

M. Yacob et d'autres aînés de la communauté arabe s'étaient adressés aux autorités tchadiennes locales pour leur faire part du problème.

« Le gouverneur est même venu ici et a dit que nous avions été lésés ; que nous ne devions pas être considérés comme des janjawids et que les noirs devaient nous laisser tranquilles », a dit M. Yacob.

Mais les groupes ethniques noirs ne l'ont pas écouté, selon lui. « Au contraire, ils ont constitué leur "toroboro". Ce sont des milices noires, qui se déplacent elles aussi à cheval et ressemblent beaucoup aux janjawids, mais si les janjawids ciblent les Noirs, les toroboro, eux, s'attaquent aux Arabes ».

« Le but du toroboro est d'éliminer toutes les communautés arabes de la région, et ils ont plein d'armes pour le faire », a affirmé M. Yacob.

Une fois, les toroboros sont passés dans cette région, capturant les Arabes qui croisaient leur route, a-t-il raconté.

« Ils leur ont coupé les oreilles, les ont attachés avec des cordes et les ont traînés tout le long de la route derrière leurs camions jusqu'à ce que mort s'ensuive. Nous avons demandé aux autorités locales de nous protéger, mais celles-ci sont composées de Noirs et nous harcèlent, elles aussi », a-t-il déploré.

D'après lui, les hommes du village sont nombreux à s'être procuré des armes. « Et une fois, en décembre dernier, lorsque le toroboro nous a attaqués, nous avons répliqué et nous avons réussi à les chasser. Ils ont fui dans le camp de réfugiés, et c'est à ce moment-là que de nombreuses personnes ont été blessées et tuées, de part et d'autre », a dit M. Yacob.

« A la suite de cela, nous avons essayé d'emmener nos blessés aux centres de santé de Koukou et de Goz Beida, mais le personnel médical qui y travaille a refusé de les soigner », s'est-il indigné.

M. Yacob a même suggéré que la fosse commune que M. Diridj avait montrée à Goz Amir contenait peut-être les cadavres de combattants arabes, et non de réfugiés.

« Les cadavres de certains de nos combattants, tués au camp de réfugiés, n'ont jamais été retrouvés », a-t-il indiqué. « Les réfugiés ne nous ont pas autorisé à les récupérer. Nous avons juste entendu dire qu'ils avaient été enterrés dans des fosses communes ».

Des récits contradictoires

A ce moment, une camionnette Toyota s'est arrêtée, surmontée d'une mitrailleuse et chargée de sacs de roquettes dépassant de chaque côté du véhicule. A la place du passager se trouvait le sous-préfet noir de Koukou, l'air furieux. « Que faites-vous dans un village arabe ? », a-t-il demandé, mettant fin à l'entretien avec les villageois.

Au camp de réfugiés, M. Diridj, le chef des réfugiés, a de nouveau affirmé que les Arabes étaient responsables de l'attaque de décembre dernier venaient du Soudan.

Goz Amir se situe à plus de 90 kilomètres de la frontière soudanaise, ce qui pourrait expliquer pourquoi le HCR n'est pas très pressé de transférer le camp : la norme internationale exige en effet que les camps de réfugiés soient établis à 50 kilomètres ou moins de la frontière.

Pour M. Diridj, cette norme est hors de propos étant donné que le tracé de la frontière a été modifié à plusieurs reprises pour toutes sortes de raisons.

« Il n'existe pas de zone tampon entre notre région et le Soudan. L'armée tchadienne ne contrôle plus la zone. Les janjawids peuvent se présenter devant notre porte chaque fois qu'ils le souhaitent, et se mettre à nous massacrer », a-t-il dit.

Selon lui et de nombreux autres membres de la communauté noire, c'est ce qui s'est passé à la fin du mois de mars à Tiero et à Marena, deux villages noirs situés à peu près à mi-chemin entre Goz Amir et la frontière soudanaise.

Les villages ont été incendiés, au moins 300 hommes, femmes et enfants ont été tués, et les 8 000 habitants restants ont fui vers l'ouest, au-delà de Goz Amir et jusqu'à Koukou, où ils sont venus grossir les rangs des déplacés, de plus en plus nombreux, en provenance des quatre coins de la région.

Toutefois, plusieurs travailleurs humanitaires ont dit ne pas être sûrs de l'identité des assaillants de ces deux villages. Selon certains, les communautés arabes locales pourraient tout simplement avoir réagi à des provocations de la part des habitants des villages noirs.

Par ailleurs, plusieurs sources humanitaires ont révélé à IRIN que l'armée tchadienne se trouvait bien près des villages au moment de l'attaque, mais qu'elle avait observé les événements de loin, sans intervenir.

S'il est une chose qui met d'accord les Noirs et les Arabes de la région est du Tchad, c'est que les deux communautés ont besoin d'être protégées.

« Nous sommes 19 000 réfugiés et le gouvernement a déployé 15 gendarmes seulement », s'est indigné M. Diridj. « L'armée tchadienne est occupée à combattre tel ou tel groupe rebelle ; elle ne se préoccupe pas de nous protéger contre les janjawids ».

Le capitaine d'un petit groupe de gendarmes en pleine sieste à l'ombre d'un arbre près du minuscule poste de gendarmerie a soutenu la version des faits présentée par les communautés noires davantage que la version arabe, déclarant que les janjawids étaient responsables des attaques menées contre les réfugiés de Goz Amir.

Il a également répété ce que le chef des réfugiés avait dit. « Cela pourrait se reproduire à n'importe quel moment », a-t-il dit, refusant de dévoiler son identité.

Déterminer les causes

De nombreux responsables des secours d'urgence opérant dans la région reconnaissent qu'ils confondent parfois les divers conflits qui sévissent dans l'est du Tchad.

« Il semble que les Tchadiens eux-mêmes ne sachent pas vraiment qui sont leurs ennemis », a estimé un responsable étranger des secours d'urgence opérant à Abéché, le centre névralgique des opérations humanitaires dans l'est.

Selon Mathew Conway, le porte-parole du HCR à Abéché, même les experts humanitaires qui sont là depuis plusieurs années sont souvent perplexes.

« Nous pensons pendant un moment que nous avons une idée de ce qui se passe, et puis soudain, un groupe en attaque un autre et nous nous demandons "mais qu'est-ce qui s'est passé ?" », a-t-il dit.

Une chose est sûre : le manque de protection est le problème humanitaire le plus important, à ce jour, dans l'est du Tchad, selon Daniel Augstburger, responsable principal des secours d'urgence du Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires ; plus important encore que tous les problèmes d'eau, d'alimentation, d'assainissement et de santé réunis.

« Le tissu social est en train de s'effondrer et personne n'est capable d'imposer une autorité », a-t-il expliqué. « Les populations ont peur, elles s'arment et s'entretuent, et la situation empire de jour en jour ».

Il a, lui aussi, déclaré que les conflits dépassaient souvent son entendement et celui d'autres travailleurs humanitaires de la région.

« Nous étudions l'histoire de la région et de la société. Nous nous adressons aux autorités traditionnelles et nous faisons appel à toutes sortes d'experts, mais il y a encore tellement de choses que nous ne savons pas », a-t-il dit.

C'est l'une des raisons pour lesquelles, comme beaucoup de travailleurs humanitaires, Daniel Augstburger s'inquiète à la perspective d'un déploiement de Casques bleus dans l'est du Tchad.

Car la question que tous se posent est la suivante : comment peut-on préserver la paix quand on ne sait même pas vraiment qui participe au conflit et les causes de ce conflit ?

dh/vj/nr/nh/ads/ail

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