Le soleil de fin d'après-midi tape fort alors que Khadidja, adossée au mur de sa maison en briques, montre du doigt le maigre repas qu'elle a préparé pour sa famille : une boule de mil accompagnée d'une légère sauce verte. "Tout est devenu si cher ce dernier temps", murmure-t-elle.
Cette mère de huit enfants, âgée de 40 ans, vit à Adré, ville située à seulement 400 mètres de la frontière avec le Soudan, dans la province du Ouaddai, à l'est du Tchad. Autrefois ville frontalière tranquille de 68 000 habitants,
Adré a vu sa population plus que doubler avec l'arrivée de dizaines de milliers de personnes de tous âges en provenance du Soudan, depuis la mi-juin, lorsqu'une nouvelle vague de violence a éclaté à El Geneina, la principale ville de l'ouest du Darfour.
Hila, la fille aînée de Khadidja, une jeune femme la vingtaine accomplie, dit qu'elle ressent la douleur de ceux qui ont fui la guerre. Sa propre famille a accueilli deux adolescents soudanais qui ont fui El Geneina à la mi-juin.
Depuis des générations, les communautés vivant le long de la frontière soudano-tchadienne ont maintenu une tradition de commerce et d'élevage de bétail, liée par des mariages mixtes et des affinités culturelles. Comme de nombreux Tchadiens, la famille de Khadidja a chaleureusement ouvert ses portes, partageant sa nourriture, ses terres et ses autres ressources avec les personnes fuyant le conflit. Mais l'arrivée soudaine de milliers de personnes a exercé une forte pression sur une population locale déjà vulnérable dans l'est du Tchad.
Trois mois après le début du conflit, le 15 avril, au Soudan, plus de 250 000 réfugiés et retournés ont traversé la frontière pour se réfugier dans les provinces tchadiennes de Ouaddai, Wadi Fira et Sila, situées à l'est du pays.
Près de 90 % de ces personnes sont des femmes et des enfants originaires du Darfour occidental, épicentre du conflit intercommunautaire entre les tribus arabes et masalit. La vague actuelle de personnes déplacées s'ajoute aux plus de 400 000 réfugiés soudanais qui vivent dans l'est du Tchad depuis 2003 à la suite de conflits antérieurs.
Alors que la crise soudanaise se poursuit, les communautés locales de l'est du Tchad sont confrontées à la flambée des prix des denrées alimentaires en raison de la rupture des marchés causée par la guerre et la fermeture des frontières. La forte inflation sur les marchés d'Adré pose de gros problèmes aux vendeurs comme aux clients, qui subissent de plein fouet la hausse des prix. Cette situation est exacerbée par les revenus déjà faibles de la population et par la pression exercée sur les moyens de subsistance des ménages locaux par l'afflux de réfugiés et de retournés.
Même avant le conflit, on estime que 1,9 million de personnes dans les provinces orientales avaient besoin d'une aide humanitaire, avec des taux de malnutrition qui dépassent le seuil critique de l'OMS dans plusieurs endroits. Pourtant le Plan de réponse humanitaire 2023 n'a reçu à ce jour que 122 millions de dollars, soit 18% des 674,1 millions de dollars demandés pour répondre aux besoins de 4,4 millions de personnes au niveau national, y compris les populations dans l’est du pays
“À cause de la guerre, nous devons maintenant acheter nos produits deux fois plus cher", explique Mahamat Hadabad un commerçant habitant la banlieue d'Adré. "Un sac de sucre coûtait 20 000 francs CFA (30 euro) et nous devons maintenant payer 55 000 ou 60 000 francs CFA (90 euro) ; un koro de mil (l'unité métrique locale, équivalant à environ 2 kg) est passé de 350 (0,53 euro) à 750, voire 1 000 francs CFA (1,53 euro)", déplore Mahamat. "Les gens ne peuvent plus acheter de biens, et c'est mauvais pour les affaires".
Comme si cela ne suffisait pas, l'accès aux services de santé de base est devenu difficile, car l'unique hôpital d'Adré est submergé par les nouveaux arrivants.
À la mi-juin, 1 300 blessés sont arrivés à l'hôpital d'Adré en l'espace de quelques jours, dont beaucoup souffraient de blessures par balle, débordant ainsi sa capacité d'accueil. Bien que la situation se soit calmée, l'hôpital reste débordé, avec environ 1 400 personnes cherchant un traitement médical chaque semaine, contre une moyenne de 600 avant la crise, selon les responsables de l'hôpital.
Depuis le début de la crise au Soudan, la communauté humanitaire travaille en étroite collaboration avec le gouvernement tchadien pour fournir une aide humanitaire d'urgence, notamment en matière de nourriture, d'eau, d'assainissement et d'hygiène, d'abris, d'articles ménagers essentiels, de santé et de protection. L'impératif a été de reloger autant de personnes que possible des sites frontaliers spontanés vers les camps existants et/ou nouvellement établis.
" La communauté humanitaire a soutenu très activement les efforts du gouvernement pour aider les personnes arrivant du Soudan, mais nous ne devons pas oublier la population locale", plaide le colonel Mahamat Ali Sebey, préfet du département de l'Assoungha, basé à Adré, ajoutant que "le Tchad ne peut pas tout faire seul, c'est pourquoi je lance un appel à la communauté internationale de soutenir le gouvernement tchadien et de financer également les partenaires qui doivent tenir compte de la population locale dans les trois provinces qui accueillent les réfugiés".
Les (organisations) humanitaires ont augmenté leur soutien à la population locale en renforçant les infrastructures existantes et en améliorant l'accès aux services de base tels que l'eau et l'assainissement, l'éducation et la santé. En juin, 6 millions de dollars supplémentaires ont été alloués au Tchad par le Fonds central d'intervention pour les urgences humanitaires (CERF) pour des services de protection et une assistance vitale aux communautés d'accueil touchées. Cette somme s'ajoute aux 8 millions de dollars déjà alloués par le CERF à la réponse à la crise soudanaise au Tchad pour répondre aux besoins des réfugiés et des retournés, ce qui porte la contribution totale du CERF à 14 millions de dollars.
Cependant, l'ampleur de la crise qui touche de larges pans de la population dans l'est du Tchad nécessite davantage de ressources, et les partenaires humanitaires se préparent à un éventuel nouvel afflux de personnes en provenance du Soudan, et en particulier à d'éventuelles crises épidemiques au cours de la saison hivernale.
Pour Dieudonné Bamouni, chef du bureau d'OCHA au Tchad, le conflit au Soudan a un impact sérieux sur la situation humanitaire au Tchad.
"Pour faire face à cette crise multidimensionnelle, nous devons donner la priorité à des mécanismes de coordination inclusifs et à des approches opérationnelles efficaces qui répondent aux besoins de toutes les populations touchées - les réfugiés, les retournés et la population d'accueil. Nous ne devons pas non plus oublier les autres crises qui sévissent dans le reste du pays", a déclaré M. Bamouni en ajoutant que "la communauté internationale, qui a félicité le Tchad pour son hospitalité légendaire, doit plus que jamais montrer sa sincère gratitude en apportant un soutien financier substantiel. C'est maintenant qu'il faut agir; Plus tard, sera trop tard "
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