Propos recueillis par R. M., à Abéché. (07/03/2008)
Fatma Samoura Diouf, coordinatrice humanitaire adjointe des Nations Unies au Tchad, chargée de l'Est.
Comment se présente la situation humanitaire à Abéché et d'une manière générale dans l'Est du Tchad ?
La situation humanitaire reste très précaire malgré tous les efforts déployés par les humanitaires depuis le mois de mai 2006, o=F9 les premières vagues de personnes déplacées sont arrivées sur les sites d'accueil. Etant donné la dernière incursion de la rébellion venue du Soudan, qui a eu comme corollaire un départ massif surtout des internationaux travaillant au niveau des ONG qui assurent l'assistance vitale à ces personnes déplacées, les Nations Unies ont eu de graves inquiétudes. Grâce aux plans de contingence tout au long entre 2006 et 2007, on a pu éviter une catastrophe humanitaire. On a déployé immédiatement des équipes de base pour pouvoir maintenir l'assistance que ces humanitaires apportent aux 250.000 réfugiés soudanais et aux 180.000 déplacés internes vivant dans l'Est du Tchad.
Avec la forte présence militaire que l'on observe, vous sentez-vous plus en sécurité ?
Tout dépend de quelle présence militaire. S'agissant de l'Eufor, nous pensons que dans le cadre de la résolution 1778 votée par le Conseil de sécurité le 25 septembre (2007), ce déploiement de forces européennes devrait permettre de garantir immédiatement la protection des réfugiés, des personnes déplacées mais également des humanitaires. Ce qui permettrait à la cinquantaine d'ONG déployées dans l'Est du Tchad et les agences du système des Nations Unies qui opèrent à partir d'Abéché de pouvoir délivrer l'assistance vitale dont ces réfugiés et ces personnes déplacées ont besoin.
Et qu'en est-il de l'armée tchadienne ?
Je pense également que sa présence nous rassure. Parce qu'on avait beaucoup d'inquiétudes au début du mois de février, notamment quand la plupart des soldats étaient occupés sur d'autres opérations, précisément pour prêter main forte à leurs collègues de N'Djamena. On avait ressenti un relâchement au niveau sécuritaire. A présent que les rebelles ont été repoussés en dehors du territoire et qu'un certain calme semble prévaloir dans l'Est et le couvre-feu qui reste imposé à partir de 20h30, on vit moins de pression et d'insécurité. Mais, nous restons vigilants, puisqu'on nous signale à chaque moment la présence des groupes armés au niveau de la frontière entre le Soudan et le Tchad. Ce qui nous oblige à être plus alertes dans nos mouvements et à respecter les consignes sécuritaires.
Est-ce exact que les groupes rebelles ont souvent eu à attaquer des camps de réfugiés ?
C'est arrivé au cours du mois qui vient de s'écouler. A la suite des bombardements de l'armée soudanaise sur des camps de déplacés internes au niveau du Soudan, qui se sont traduits par un afflux de réfugiés à Guéréda et dans la localité de Birak, située à 50 kilomètres au sud de cette ville. D'après les informations que nous avons reçues, il s'agirait de bombardements aériens accompagnés d'attaques de milices arabes djandjawids au niveau de la frontière. Mais au niveau de l'Est du Tchad, ce que nous déplorons le plus, c'est la criminalité urbaine. Entre le mois de novembre 2007 et le mois de février 2008, nous avons enregistré pas moins de six ou sept attaques, dont certaines ont été assez violentes, contre les humanitaires.
A votre avis, les autorités sont-elles impuissantes face à cette situation d'insécurité ?
Non, pas du tout. Malgré les faibles moyens dont disposent les autorités, nous avons une totale confiance en leur capacité de réaction. Par exemple, les cinq véhicules qui ont été braqués entre le 1er et le 5 décembre ont été récupérés. De la part de l'actuel gouverneur (ndlr : en poste depuis le 8 novembre 2007), qui est un ancien ministre de la Défense et l'un des généraux les plus gradés après le chef de l'Etat, nous recevons beaucoup de soutien. Sa préoccupation première est également d'assurer la protection des humanitaires. Depuis mon arrivée le 1er novembre, j'ai été saisie de deux cas de braquage de véhicules dans la ville d'Abéché. Le reste du temps, ça se passe toujours en dehors d'Abéché. Certes, en dehors de cette ville, les risques sont beaucoup plus grands. On ne sait pas qui vraiment attaque les humanitaires et pourquoi quelle raison. On n'a jamais réussi à appréhender les assaillants. Il est arrivé qu'on trouve des véhicules embourbés, mais sans ceux qui les ont emportés. C'est vrai aussi qu'au mois de novembre, on a beaucoup craint pour la vie des humanitaires, puisque deux bureaux d'ONG ont été braqués. Egalement, certains de nos agents internationaux et nationaux ont été agressés et violentés. En général, dans les grandes villes comme Groz Beida ou Koukou, y compris Abéché, nous n'avons pas eu à déplorer une seule victime humaine depuis que moi je suis ici. Je crois que pour un gouvernement qui est quand même confronté à des attaques sur plusieurs fronts, on ne peut pas dire que tout va mal au niveau d'Abéché.