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Cameroon

Dans l’ombre de l’accouchement : les ravages silencieux de la fistule obstétricale dans l’Extrême-Nord du Cameroun

Dans l’Extrême-Nord du Cameroun, la fistule obstétricale plonge des milliers de femmes dans un silence et une stigmatisation dévastateurs. Grâce à ALIMA et ses partenaires, elles bénéficient de soins gratuits et d’une réinsertion sociale. Haouat et Josiane ont retrouvé dignité et espoir après des années de souffrance grâce à une chirurgie réparatrice.

Au Cameroun, selon le Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA), environ 18 000 femmes vivent avec une fistule obstétricale et elle en touche 2 000 chaque année. La fistule obstétricale est une lésion dont les femmes ont du mal à parler. Elle les mure dans un silence qui les éloigne de la guérison, provoquant également d’importants dégâts émotionnels.

Cette pathologie qui survient à la suite d’un accouchement difficile est définie par l’UNFPA comme “une perforation entre le vagin et la vessie et/ou le rectum, due à un travail prolongé et qui se produit en l’absence de soins obstétricaux rapides et de qualité. Elle provoque une fuite d’urine et/ou de matières fécales par le vagin, et entraîne à plus long terme des problèmes médicaux chroniques.” Cette description donne une idée claire du tabou qui entoure cette lésion.

A l’Hôpital régional de Maroua, à l’Extrême-Nord du Cameroun, ALIMA et ses partenaires, l’Association de lutte contre les violences faites aux femmes Extrême-Nord (ALVF-EN) et l’Hôpital régional de Maroua offrent une chirurgie reconstructrice à de nombreuses femmes qui souffrent de fistule obstétricale. ALIMA assure la gratuité de la prise en charge : sensibilisation, identification, préparation psychologique, opération, séjour post-opératoire. Au-delà de l’acte médical, ALIMA permet aux femmes qui ont subi l’opération de bénéficier d’activités génératrices de revenus pour faciliter leur réinsertion sociale et économique.

Les récits de ces femmes décrivent la douleur physique, l’isolement et l’humiliation sociale que provoque leur incontinence. Ils décrivent également l’espoir que suscite la guérison, après des années de souffrance ainsi que les possibilités qui s’ouvrent à elles.

A l’ombre de l’accouchement

Haouat, 48 ans, divorcée, nous raconte le calvaire qu’elle a vécu depuis ses 23 ans. “Je suis morte il y a 25 ans. Car mon véritable problème de santé a commencé il y a 25 ans. Peu de temps après la naissance de ma dernière fille, j’ai commencé à avoir des démangeaisons dans les parties intimes, des douleurs, des rougeurs, de la fièvre, des frissons. Je ne contrôlais plus tout mon corps. J’en ai d’abord parlé à mon mari, puis à certains membres de ma famille. Après un passage à l’hôpital, on m’a annoncé que je souffrais de fistule recto-vaginale.”

Dans le même hôpital, une jeune fille donne les détails de sa souffrance. Josiane a vécu le drame de la fistule, à 23 ans, au même âge que Haouat. Son discours est quasi identique :“Mes soucis de santé ont commencé après la naissance d’Ahmet. Les symptômes étaient des démangeaisons dans mes parties intimes, des douleurs, des rougeurs, de la fièvre, des frissons, etc. C’est là-bas que le diagnostic est tombé, je souffrais de fistule recto-vaginale. Nous n’avions pas d’argent pour payer une telle opération alors je suis sortie de l’hôpital. Je devais continuer à vivre, à m’occuper de mes enfants, malgré ​la gêne et les douleurs.”
Les conséquences de la fistule peuvent être tragiques. Lorsqu’on lui annoncé qu’elle souffrait d’une fistule, Haouat est tombée des nues.

“Personne n’en avait entendu parler, nous étions tous choqués, moi encore plus. Je me demandais : pourquoi moi ?”

Josiane ANIKE, 23 ans

Par manque de moyens, beaucoup de femmes quittent leur lit d’hôpital sans s’être fait soigner et retrouvent leur vie quotidienne. De retour à la maison, en plus de la souffrance physique, elles subissent une double violence à cause de leur lésion invalidante. D’abord sociale, car elles sont souvent mises à l’écart, puis économique, car elles perdent leur travail et vivent dans la précarité : “Après avoir discuté avec le personnel médical, nous avons compris qu’il était possible de se faire opérer mais les coûts de l’opération étaient hors de portée pour notre famille. J’ai pris la décision de vivre avec. Je ne pouvais faire autrement. Cette maladie m’a tuée. Quelques années plus tard, j’ai divorcé. Si ma maladie n’est pas la cause principale du divorce, elle y a peut-être joué un rôle, je voulais être seule. J’étais tout le temps triste.“ Haouat se tait pudiquement sur son divorce. Cependant, la fistule obstétricale a un effet dévastateur sur la vie de couple. Entre honte, baisse de l’estime de soi et culpabilité, le mariage peut vite chavirer, le coup fatal pouvant être donné par la méconnaissance de ce qu’est cette fistule et du fait qu’elle se “répare”.

Une lueur d’espoir

Dans le quotidien résigné des femmes souffrant de fistule obstétricale, l’attente d’une “solution miracle” peut être longue. Mais le bout du tunnel est parfois proche. Pour Josiane, cette lueur d’espoir s’est allumée lors de visites d’AVLF-EN, partenaire d’ALIMA dans leur communauté. “Je voyais souvent des relais communautaires d’ALVF-EN dans mon quartier, sans toutefois savoir exactement quelle était leur action. Un matin, alors qu’ils passaient dans mon quartier, je me suis rapprochée d’eux afin d’échanger. Je ne regrette pas de l’avoir fait, car c’est grâce à cela que ma guérison a commencé. Aujourd’hui, je peux dire que j’ai beaucoup de chance car à la suite de mon passage à l’association, j’ai été prise en charge. En effet, une campagne de réparation des fistules débutait quelques jours après.”

Pour Haouat, qui a bénéficié de la même campagne de réparation, se faire opérer a été la première décision à prendre. “Participer à cette campagne et me faire opérer était une décision personnelle. L’enjeu était assez grand car cela faisait 25 ans que je souffrais. La seule chose que j’avais à perdre, c’était cette maladie. J’ai alors demandé si je pouvais être opérée et ma demande a été approuvée.”

Renaissance

“Depuis mon opération, je suis de nouveau en vie. Tout s’est bien passé. J’ai eu l’impression de renaître, je me sentais libérée d’un poids. Depuis l’an dernier, je n’ai pas de mots assez forts pour dire à quel point je suis heureuse” nous confie Haouat.
Pour Josiane, l’opération est une bénédiction : “Cela fait bientôt deux mois que j’ai été opérée et tout s’est bien passé. Les douleurs, les gênes, les démangeaisons. : tout cela a disparu, je suis guérie et je me sens beaucoup mieux. L’opération s’est faite à l’Hôpital régional de Maroua. Je remercie ALIMA et ses partenaires pour tout. Sans leur intervention, je ne serais ni heureuse, ni en bonne santé actuellement.”

Briser le mur de silence, dissiper la stigmatisation

L’opération ouvre un boulevard de possibilités aux femmes qui recouvrent leur dignité. Haouat et Josiane sont reconnaissantes du soutien qu’elles ont reçu. Elles ont toutes les deux décidé de partager leurs conseils et leur expérience pour permettre à d’autres femmes de briser le mur de silence et le tabou dans lequel elles sont enfermées. Car, pour Josiane, “le sujet des fistules n’est pas public, mais je prodigue des conseils et je partage mon expérience aux femmes qui se trouvent dans la situation qui était la mienne il y’a encore peu de temps. Il n’y a pas de honte à être malade, des solutions existent, il suffit d’avoir le courage d’en parler.”

Ainsi, Haouat prend son bâton de pélerin pour accompagner ALVF dans ses tournées : “Lorsque cela est possible, j’accompagne les relais communautaires lors de leurs rendez-vous en communauté. Je souhaite que d’autres femmes souffrant de fistules obstétricales puissent être opérées. Si j’arrive à les convaincre de se faire opérer grâce à mon histoire personnelle alors je serai encore plus heureuse.”
Les femmes atteintes de fistule obstétricale sont plus susceptibles de subir des violences sexistes. Elle entraîne isolement et stigmatisation de celles qui en souffrent. Cela favorise la perte de leurs moyens de subsistance, entrave leur autonomisation. C’est un problème de santé dont les effets, lorsqu’ils sont prolongés, sont dévastateurs.

Grâce au soutien du Centre de Crise et du Soutien (CDCS) du Ministère français de l’Europe et des Affaires Étrangères, ALIMA, en partenariat avec l’association camerounaise ALVF-EN et l’Hôpital Régional de Maroua, participe à l’éradication de ce fléau qui a disparu de la plupart des pays industrialisés, à travers le projet : “Assistance médico-chirurgicale et autonomisation des femmes et des enfants de la région de l’Extrême-Nord, affectées par les crises du bassin du Lac Tchad.”