La réunion des forces politiques ivoiriennes se tient au domaine de Bellejame à Linas-Marcoussis (Centre national du rugby). Elle a été ouverte le 15 janvier à 12h00 par le Ministre au centre de conférences internationales de l'Avenue Kléber.
Cette réunion, qui devrait s'achever le 24 janvier, est présidée par M. Pierre Mazeaud, ancien ministre, membre du Conseil constitutionnel, assisté de trois coordinateurs représentants respectifs de la CEDEAO, de l'Union Africaine, et de l'ONU. Elle réunit l'ensemble des partis politiques représentés à l'assemblée nationale, le rassemblement des républicains et les représentants politiques de la rébellion (MPCI, MPIGO et MJP).
La réunion n'étant pas ouverte à la presse, celle-ci est conviée à l'ouverture par le Ministre ainsi qu'au point de presse quotidien que tiendra le porte-parole du ministère des Affaires étrangères.
Ouverture de la table ronde ivoirienne : discours du ministre des Affaires étrangères, M. Dominique de Villepin (Paris, 15 janvier 2003)
Messieurs les Délégués,
Chers amis,
C'est avec une très profonde émotion que je voudrais aujourd'hui ouvrir vos travaux, au nom du président de la République qui m'a demandé de vous accueillir et vous devez savoir qu'il entend suivre vos travaux avec une particulière attention.
Je dis bien vos travaux, car ici, toutes les forces ivoiriennes sont réunies et c'est ensemble qu'il vous appartient de trouver des solutions à la crise qui frappe si durement votre pays.
La route jusqu'à Paris a été longue et difficile. Je tiens à remercier chacun d'entre vous d'être venu ici, et à saluer votre courage, car il est beaucoup plus difficile de construire la paix, que de se faire la guerre. Nous en sommes tous très conscients.
La France, pays hôte, est là aujourd'hui pour apporter son appui, sa solidarité, son amitié pour la Côte d'Ivoire et pour l'Afrique. Elle le fera avec le concours résolu de tous nos amis et facilitateurs.
Je voudrais remercier en premier lieu Pierre Mazeaud qui va présider vos séances de travail, en contact étroit avec moi-même et le président de la République. Je voudrais aussi saluer les représentants des grandes institutions de la communauté internationale et africaine : M. Ould Abdallah qui représente ici le Secrétaire général des Nations unies, M. Miguel Trovoada qui représente l'Union africaine, et M. le Ministre Cheick Tidjane Gadio qui représente la présidence en exercice de la CEDEAO, accompagné de M. Ibn Chambas et du général Diarra au nom du Secrétariat exécutif de la CEDEAO.
Tous ensemble, nous sommes là pour accompagner vos travaux, vos efforts.
Qui ne voit aujourd'hui que ce qui est en jeu, au-delà de la Côte d'Ivoire, c'est aussi l'avenir du continent africain tout entier. C'est une certaine idée de l'Afrique, le respect de l'autre, la paix, la démocratie, le développement.
C'est tout cela qu'il faut faire vivre, qu'il faut faire revivre en Côte d'Ivoire.
Pour nous aider, pour vous aider dans cette lourde tâche, il y a l'exemple de ce que fut la Côte d'Ivoire pendant tant d'années : un modèle d'ouverture et de tolérance pour tous les Ivoiriens, pour toutes les femmes et les hommes des pays voisins venus vivre et travailler ensemble sur votre terre.
Longtemps, votre richesse a fait votre force. Aujourd'hui, elle suscite des convoitises. Longtemps, la diversité a fait votre richesse. Aujourd'hui, certains voudraient faire croire qu'elle fait votre faiblesse.
Nous sommes maintenant à la croisée des chemins. L'Histoire, regardons-la en face. L'Histoire hésite. La Côte d'Ivoire hésite. Mais l'Histoire vous oblige. Votre peuple vous regarde et il vous oblige. Ce n'est pas tant devant la France, ni même devant la communauté internationale ou l'Afrique, que vous aurez à rendre compte de vos travaux, mais bien devant le peuple ivoirien.
A la fin de la semaine prochaine s'ouvrira à Paris la conférence des Chefs d'Etat africains avec le Secrétaire général des Nations unies et les représentants de nombreux pays amis, partenaires, bailleurs de fonds. Cette conférence sera là pour approuver le résultat de vos travaux et leur donner la garantie internationale qui assurera à votre pays le retour à la paix et à la stabilité. Je dis bien garantie. C'est dire à quel point la communauté internationale, avec la France, entend aujourd'hui mettre tout son poids dans le sens de la paix, toute son énergie, toute son imagination, car c'est bien de la guerre ou de la paix qu'il s'agit.
Pensons aujourd'hui et demain à la Côte d'Ivoire et aux Ivoiriens. Nous n'avons pas, vous n'avez pas le droit de les décevoir.
En ouvrant ce matin vos travaux, je pense qu'il est utile, sinon à vous-mêmes, du moins au peuple ivoirien, au peuple africain, aux peuples du monde qui vous regardent, de rappeler les grandes lignes du passé qui est, comme toujours, l'explication du présent et donc de certaines de vos difficultés.
En Côte d'Ivoire, comme partout dans le monde, construire un Etat, construire une nation, c'est une haute ambition, souvent difficile.
Votre nation s'est formée autour d'une personnalité exceptionnelle, le président Houphouët-Boigny, qui a su fédérer autour de lui toutes les régions, toutes les ethnies, toutes les religions. Très tôt, la Côte d'Ivoire a donné l'image d'une nation unie et fraternelle. La manière dont vous avez célébré, il y a moins de dix ans, les obsèques du père fondateur, a donné au monde un témoignage d'unité et de cohésion dont vous pouvez être fiers.
Depuis l'indépendance, votre pays a connu un développement économique considérable. Ce développement, les Ivoiriens le doivent à eux-mêmes, aux atouts dont la nature a doté leur pays. Mais chez vous, comme partout en Europe, comme partout dans le monde, le développement, l'expansion d'un pays repose souvent également sur la présence de nombreux étrangers qui participent sous différentes formes à la mise en valeur de l'économie.
Cette présence dans votre pays est ancienne. Elle a créé des situations qui parfois peuvent être délicates, notamment dans le domaine foncier ou dans le domaine de la nationalité. Il faut savoir construire des solutions avec générosité, avec intelligence, avec le sens de la justice. Longtemps exemple même du pays hospitalier et ouvert, la Côte d'Ivoire doit le rester et surmonter l'obstacle qu'elle rencontre aujourd'hui sur sa route.
La Côte d'Ivoire est aujourd'hui un pays blessé. C'est à vous, Ivoiriens, ici présents, de trouver les voies pour repartir dans la bonne direction. Votre mission est claire, elle est historique. Elle vous donne des responsabilités hautes et exigeantes. A nous tous, qui voulons le succès de cette table ronde, elle impose un devoir de rigueur, d'ouverture d'esprit et de solidarité.
Vous entamez aujourd'hui des discussions qui engagent l'avenir de la Côte d'Ivoire. Pour donner tous leurs fruits, elles devront être ouvertes, approfondies. Les préjugés, les arrière-pensées, les procès d'intention, ne seront pas de mise. Il vous faudra de la patience, de l'audace, du courage. Aucun sujet ne doit être tabou. Tous devront être traités un à un. Mais je suis optimiste parce que je crois en la Côte d'Ivoire, parce que je crois en l'Afrique, en son esprit de générosité et de fraternité. Vous avez su donner l'exemple. Aujourd'hui, nous voulons vous tendre la main pour que vous puissiez renouer avec ce qui fait le génie propre de votre pays.
Permettez-moi d'exprimer ici solennellement ma conviction qu'il est possible de s'accorder rapidement sur des principes clairs, pour apporter des solutions aux problèmes de fond.
Ainsi, sur ce concept d'ivoirité à la base de tant de difficultés, de tant de souffrances, il faut aujourd'hui que vous ayez une discussion franche. La tâche, ne nous le cachons pas, est lourde, tant ce mot a été l'objet de multiples malentendus. Il s'agit donc pour vous de clarifier le débat et de trancher.
Autre problème préoccupant pour vous comme pour certains de vos voisins qui ont en Côte d'Ivoire de fortes communautés d'immigrés, celui du régime foncier. La loi adoptée par l'Assemblée nationale il y a quelques années peut être complétée. Elle devra donner satisfaction tant aux communautés rurales détentrices du droit de propriété qu'à ceux qui sont établis depuis de nombreuses années sur ces terres agricoles et qui sont désormais intégrées à la vie nationale.
Enfin, comme tous les pays d'immigration, les questions liées à la nationalité, à la naturalisation sont éminemment sensibles. A quelques nuances près, tous les pays qui sont dans une situation comparable, ont adopté le même type de solution : compléter la nationalité acquise par le droit du sang par la possibilité, pour les étrangers nés sur le sol national, et ayant vécu un certain nombre d'années, d'obtenir la nationalité du pays o=F9 ils vivent. En tout état de cause, la présence des étrangers sur votre sol appelle l'établissement d'un statut.
Sur tous les sujets que je viens d'évoquer, je suis convaincu qu'un accord est possible. Pour chacun, il faut définir les solutions à la fois conformes au droit et aisément compréhensibles par ceux qui vivent aujourd'hui dans l'incertitude. A chaque étape de vos débats, vous devez avoir le souci de rassurer, de faire comprendre que tous les sujets qui seront abordés le seront avec hauteur, exigence, dans un esprit de justice et de solidarité.
Vous aurez bien sûr à aborder des sujets de nature politique, avec pour seule boussole les règles de la vie démocratique. Ces principes - le respect de la constitution, la souveraineté du peuple, la préservation de l'unité et de l'intégrité du territoire national, l'exigence absolue du respect des Droits de l'Homme et le souci permanent de la légitimité démocratique - sont essentiels. Il s'agit d'avancer dans le respect des règles du droit et avec le souci du bien commun ainsi que la préoccupation du retour à la paix.
Sur tous ces chemins la communauté internationale mobilisée par la France veut vous accompagner, vous aider, et garantir la démarche et le calendrier que vous aurez arrêtés.
La France est aujourd'hui à vos côtés pour amener la paix. Elle le restera pour vous aider à remettre en route votre pays. Nous ne soutenons ni une personne ni un camp, mais un principe, une exigence. Aujourd'hui comme hier, nous privilégions l'avenir du peuple ivoirien et la recherche d'une solution politique parce que c'est la seule qui offre la chance d'une paix durable.
La tâche est considérable. Mais ce qui nous réunit tous aujourd'hui c'est une même volonté, un même espoir : la paix, la réconciliation, la reconstruction de la Côte d'Ivoire.
Chers amis, cet espoir du peuple ivoirien est aujourd'hui entre vos mains.
Je vous remercie.