Par Gaëlle Bausson
DUÉKOUÉ / MAN, Côte d'Ivoire, 15 avril 2011 - « Duékoué c'est l'ouest sauvage, il faut que les choses rentrent dans l'ordre», explique Ibrahim, 39 ans, père d'une famille élargie de huit personnes réfugiée dans l'un des sites pour personnes déplacées dans la ville de Man, à l'ouest de la Côte d'Ivoire.
« Nous avons quitté nos foyers en laissant la nourriture sur le feu, pour fuir les tirs des kalachnikovs. Nous avons marché 25 kilomètres avec ma soeur, ma femme enceinte et les enfants », ajoute-t-il en pointant du doigt trois jeunes enfants et deux adolescents. « Nous avons besoin de nourriture et de soins de santé, la vie continue ».
Une situation toujours critique
Après quatre mois d'impasse politique et de combats à l'ouest du pays et dans la capitale, Abidjan, les sombres nuages de la violence et des affrontements post-électoraux commencent à disparaître, laissant place à un possible relèvement en Côte d'Ivoire.
Malgré l'arrestation de Laurent Gbagbo, la situation humanitaire demeure très préoccupante, puisqu'environ 750 000 personnes ont fui leurs habitations suite aux violences et 150 000 personnes se sont réfugiées au Libéria, pays frontalier. Pour ajouter à cette situation déjà difficile, cinq millions de personnes se sont retrouvées bloquées chez elles au cours des deux dernières semaines à Abidjan, avec peu ou pas d'accès à la nourriture, à l'eau et aux soins de santé.
À l'ouest, la situation des personnes déplacées comme Ibrahim et sa famille est inquiétante, notamment dans les villes de Man, Guiglo, Danane et en particulier à Duékoué. Là-bas, 27 500 personnes, des femmes et des enfants pour la plupart, sont accueillies sur un site de la Mission catholique pas plus grand que deux stades de football. « La surpopulation constitue le problème le plus urgent », explique le Père Cyprien Ahoune, chargé de la Mission, qui travaille aussi avec l'UNICEF et d'autres acteurs humanitaires afin de répondre aux besoins des personnes déplacées.
Pour l'UNICEF, les risques d'épidémies comme la rougeole et les maladies diarrhéiques sont les plus préoccupants.
« Récemment, 20 000 nouvelles arrivées ont saturé les capacités du camp. Malgré le travail intensif de tous les acteurs humanitaires, les besoins en eau salubre et en assainissement ne sont pas couverts convenablement et d'autres sites doivent être mis en place de toute urgence afin d'améliorer les conditions de vie et éviter les épidémies », tient à préciser Basile Djedjro, Responsable WASH (Eau, assainissement et hygiène) pour l'UNICEF.
Une tension palpable
L'UNICEF et ses partenaires cherchent à fournir 150 000 litres d'eau salubre au camp chaque jour, afin d'entretenir les 80 latrines construites à ce jour, même si beaucoup plus sont nécessaires.
« Pour respecter les normes humanitaires minimales, nous devons fournir environ deux fois plus d'eau et construire plus de 400 autres latrines », explique François Bellet, spécialiste régional WASH pour l'UNICEF en Afrique de l'Ouest et centrale.
« Avec 1000 personnes nous pourrions nous en sortir, mais là, il est urgent de relocaliser les personnes sur d'autres sites », affirme le Père Cyprien.
Très peu d'entre elles sont prêtes à rentrer chez elles car elles se méfient de l'insécurité qui menace toujours certaines régions et des tensions inter-ethniques palpables dès que l'on discute avec les personnes de la région. Le préfet et d'autres autorités locales ont identifié d'autres sites. L'UNICEF ainsi que les ONG partenaires sont en plein travail pour y mettre en place des services de base.
L'approvisionnement par avion de l'UNICEF
Un autre problème crucial consiste à fournir des soins de santé dans un contexte de pénurie de médicaments, d'absence marquée du personnel médical au travail et d'une interruption de la chaine d'approvisionnement à cause de l'insécurité.
« Mes deux petits enfants, des jumeaux, sont tombés malades. Ils toussaient, avaient de la fièvre et l'un d'eux est mort ici, au camp, la semaine dernière », raconte leur grand-père Tehe Fie Ernest, 42 ans, assis au milieu de sa famille, en veillant sur son petit fils endormi. « Il est très faible et n'a pas mangé depuis une semaine, mais nous avons reçu des médicaments au camp et j'espère qu'il va aller mieux ».
La bonne nouvelle, c'est que pour la première fois depuis des semaines, l'UNICEF va pouvoir acheminer par avion plus de 60 tonnes de biens médicaux, nutritionnels, éducatifs, d'eau et d'assainissement au pays.
« Il est toujours difficile pour nos équipes de circuler à Abidjan mais l'UNICEF atteint lentement mais sûrement les personnes pour leur apporter une aide très nécessaire », explique Hervé-Ludovic de Lys, le représentant désigné de l'UNICEF en Côte d'Ivoire.
Les avions-cargos affrétés devraient atteindre Abidjan, Man et l'ouest du pays ainsi que Bouake au centre du pays le 16 avril.