Houleuse et constructive. Ainsi peut-on qualifier, selon nos informations, la rencontre organisée avant-hier à Kara, dans le nord du Togo, entre le président ivoirien Laurent Gbagbo et le numéro un libérien, Charles Taylor. Une rencontre qui a bien failli ne pas se tenir. Prévue au départ il y a six jours, elle avait été reportée officiellement en raison de la « non-concordance de calendrier » entre les deux parties. Officieusement, le chef de l'Etat ivoirien se posait des questions sur l'opportunité d'une telle rencontre, quand on sait ce qu'ont donné les grandes effusions réconciliatrices avec le président Blaise Compaoré, au Mali, aux premiers mois de la guerre"
La deuxième fois a été la bonne. Commencée samedi après-midi à Kara, dans le fief nordiste du général Gnassingbé Eyadéma, la rencontre s'est terminée dans la soirée, et le président Laurent Gbagbo est directement retourné à Abidjan.
La discussion, arbitrée par le général Gnassingbé Eyadéma, a abordé, d'entrée de jeu, les préalables du chef de l'Etat ivoirien. En position de force, sachant que Charles Taylor joue sa survie - c'est ce dernier qui a sollicité l'entrevue, et ce sont les réseaux de ses « amis français » qui ont fait pression sur son homologue - Laurent Gbagbo a exigé, avant tout débat de fond, que Charles Taylor reconnaisse formellement l'implication directe de son armée aux côtés du Mouvement populaire du grand ouest (MPIGO) et du Mouvement pour la justice et la paix (MJP). Devant lui, et en présence du président Eyadéma, il a déroulé une carte de la Côte d'Ivoire, fournie par l'Etat-major des Forces armées nationales de Côte d'Ivoire (FANCI), et indiquant que plusieurs officiers supérieurs de l'armée libérienne avaient été à la tête des opérations sur plusieurs fronts. Acculé, sachant qu'il jouait son va-tout, Charles Taylor s'est mis à table. Pour la première fois, il a reconnu formellement la présence de six de ses généraux sur le front ouest. Mais il a aussitôt argué - dérisoire « circonstance atténuante » - qu'ils ne travaillaient pas « pour le compte de l'Etat ».
Ce préalable posé, les deux chefs d'Etat sont entrés dans le vif des négociations militaires, ébauchant une sorte de pacte de non-agression, résumé par le communiqué final qui est sorti des discussions. Laurent Gbagbo et Charles Taylor ont convenu du « déploiement immédiat » d'un dispositif quadripartite de « forces conjointes », composé des troupes françaises de l'Opération Licorne, des forces de la CEDEAO, des FANCI et des forces armées libériennes. Déployé tout le long de la frontière commune entre les deux pays - de Grabo à Mahapleu - ce dispositif vise à sécuriser les deux frontières et à empêcher, de part et d'autre, les incursions de rebelles.
Chacune des parties entend tirer profit de cet accord. D'un point de vue stratégique, Charles Taylor, qui ne maîtrise pratiquement plus une seule de ses frontières - après avoir tenté de déstabiliser chacun de ses voisins, il subit un effet boomerang - obtient une sorte de répit. Il espère voir le front est, frontalier de la Côte d'Ivoire, se calmer. Quant au président ivoirien, s'il ne se fait aucune illusion sur la nocivité de Charles Taylor, il compte profiter de la donne qui s'annonce pour stabiliser et maîtriser complètement une frontière dont son armée a regagné certains « bouts », mais qu'elle ne maîtrise pas encore complètement. Et mettre un terme au flux et reflux des Libériens alliés au MPCI, au MPIGO et au MJP.
Reste que si, théoriquement, le plan profite aux deux parties, sa mise en oeuvre s'annonce des plus difficiles. Les forces françaises ne s'y retrouveront pas. Leur plan de départ pour la pacification de la région prévoyait la participation des « forces nouvelles », au même titre que les FANCI, les forces Licorne et les forces de la CEDEAO. Mais le président Laurent Gbagbo a été clair. Pour lui, l'opération dans l'ouest de la Côte d'Ivoire ne peut être mené que par des armées régulières - même si on peut s'interroger sur la « régularité » de l'armée de Charles Taylor. Une réunion est prévue à Abidjan, entre les chefs d'Etat-major de Côte d'Ivoire, du Liberia, des forces Licorne et de la CEDEAO pour harmoniser les positions. =C7a promet !
L'exclusion des rebelles du plan commun de pacification pourrait bien sonner le glas de leur présence dans l'ouest, qui est déjà tellement menacée que nombre des « officiers » du MPCI sont allés à la rescousse de leurs « camarades », faisant voler en éclats la différenciation artificielle qu'ils avaient eux-même créée. En tout cas, les « forces résiduelles » de la rébellion ivoirienne feront sans doute tout pour contrarier un plan qui les marginalise. La forte communication qu'ils ont faite sur leurs « affrontements » avec les « mercenaires libériens » résonne comme une tentative de légitimation, de « nationalisation », une volonté de montrer qu'elles peuvent aider à pacifier la région. Il reste que la réalité des affrontements, et surtout leur structuration - Ivoiriens contre Libériens - sont considérées avec beaucoup de réserve côté ivoirien, et à peine confirmées par Charles Taylor lui-même. Qui désormais voit en Laurent Gbagbo son « sauveur » potentiel. Mais n'est-il pas déjà trop tard pour lui ?
Sylvie Kouamé (Source : le Temps)
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