Conseil des droits de l'homme
APRÈS-MIDI 19 mars 2013
Le Conseil des droits de l'homme a été saisi cet après midi des rapports des Experts indépendants chargés respectivement de la situation des droits de l'homme en Côte d'Ivoire et en Haïti, MM. Doudou Diène et Michel Forst, dans le cadre de l'examen des questions relatives à l'assistance technique et au renforcement des capacités.
M. Diène a énuméré les cinq «tendances lourdes» auxquelles la Côte d'Ivoire est confrontée, à savoir la polarisation, la construction progressive d'une politique nationale de respect et de promotion des droits de l'homme, le climat sécuritaire, fragilisé par les tentatives de déstabilisation de l'État et la montée des périls de l'intolérance et de la fragmentation religieuse et communautaire dans la zone sahélo-saharienne. Cela souligne l'urgence et la portée de la consolidation de la reconstruction démocratique et sociale, de la réconciliation politique et du vivre ensemble séculaire du peuple ivoirien.
La Côte d'Ivoire est intervenue à titre de pays concerné, revenant sur les mesures adoptées par le Gouvernement pour répondre aux défis persistants, et soulignant que la Côte d'Ivoire reste ouverte à toutes les critiques constructives et au soutien de la communauté internationale. Dans le cadre des débats, les délégations se sont inquiétées de la fragilisation progressive du climat sécuritaire dans le pays, mettant en garde contre un risque qui pourrait présager un retour au climat d'insécurité qui prévalait en août et septembre derniers, et plus généralement au cours des dix années de guerre civile. Dans ce contexte, il est important que le Gouvernement progresse plus rapidement dans le désarmement et la réforme de la sécurité. Par ailleurs, pour stabiliser la situation, la Côte d'Ivoire doit accélérer sa réconciliation nationale dans un dialogue inclusif et lutter contre l'impunité en toute impartialité. Enfin, la France s'est déclarée opposée à toute levée de l'embargo sur les armes à destination de la Côte d'Ivoire, comme le recommande l'Expert indépendant, estimant que le nombre important d'armes en circulation dans le pays justifie son maintien.
Les délégations du Gabon (Groupe africain), du Bénin, des Maldives, du Botswana, de l'Algérie, de l'Union européenne, de la France, de Djibouti, du Togo, du Royaume-Uni, du Sénégal, de la Suisse et de l'Australie ont pris la parole, ainsi qu'un représentant du Fonds des Nations Unies pour l'enfance et quatre organisations non gouvernementales: Organisation mondiale contre la torture, Fédération internationale des droits de l'homme, Rencontre africaine pour la défense des droits de l'homme et Bureau international catholique de l'enfance.
M. Forst a déclaré son inquiétude et sa déception devant l'évolution de la situation dans les domaines de l'état de droit et des droits de l'homme en Haïti, déplorant les nominations de magistrats à des fins politiques ou partisanes, les arrestations arbitraires et illégales dans l'ensemble du pays, ou encore les menaces proférées contre des journalistes et les détentions préventive prolongée. Parallèlement, il y a des signes encourageants, notamment la nomination d'une Ministre des droits humains et de la lutte contre l'extrême pauvreté. M. Forst a annoncé à la fin de son intervention qu'il avait décidé de démissionner de son mandat d'Expert indépendant pour raisons personnelles.
Haïti, en tant que pays concerné, a reconnu qu'il lui reste beaucoup à faire et a souligné la nécessité de continuer à soutenir et renforcer les capacités des institutions garantes de l'état de droit dans le pays. Au cours du débat qui a suivi, les délégations ont estimé qu'au vu des défis restant encore à relever en Haïti, la communauté internationale doit demeurer à ses côtés, en identifiant notamment les priorités à court terme favorisant le développement. La gravité des problèmes que rencontre le pays, notamment pour la reconstruction suite au séisme de 2010, exige en outre que la communauté internationale respecte ses engagements en matière de promesse d'aide. Une délégation a ainsi plaidé pour l'annulation totale de la dette de ce pays.
Les délégations suivantes ont pris part au débat avec l'Expert indépendant chargé de la situation en Haïti: Brésil, Union européenne, France, Chili, Maldives, Argentine, Venezuela, Koweït, Uruguay, Maroc, Espagne, Cuba, Suisse, États-Unis et Algérie. Human Rights Watch et la Fédération internationale des droits de l'homme sont également intervenues.
Demain, dès 9 heures, le Conseil sera saisi des rapports du Haut-Commissariat aux droits de l'homme et du Secrétaire général sur des situations de pays au titre de la coopération technique et le renforcement des capacités, avant d'entamer un débat général sur ces questions.
Assistance technique et renforcement des capacités: situation des droits de l'homme en Côte d'Ivoire
Présentation du rapport
M. DOUDOU DIÈNE, Expert indépendant sur la situation des droits de l'homme en Côte d'Ivoire, a évoqué les défis majeurs auxquels est confronté le pays: la reconstruction démocratique, économique et sociale, la promotion d'une éthique politique nationale, la revitalisation du vivre ensemble et l'éradication de la culture de la violence. Il a énuméré ce qu'il appelé les cinq «tendances lourdes» auxquelles la Côte d'Ivoire est confrontée. Tout d'abord, la polarisation politique reste un défi majeur malgré le processus de dialogue politique en cours. En outre, la construction progressive d'une politique nationale de respect et de promotion des droits de l'homme est confrontée au défi de l'impunité et de l'équité de la justice. En troisième lieu, l'Expert indépendant constate un climat sécuritaire, fragilisé à la fois par la résilience des tentatives violentes de déstabilisation de l'appareil sécuritaire d'État et par les violations des droits de l'homme commises. La quatrième tendance lourde concerne une situation économique et sociale en progrès. Enfin, le pays est «confronté à un contexte sous-régional caractérisé par la montée des périls de l'intolérance et de la fragmentation religieuse et communautaire dans la zone sahélo-saharienne». Cela souligne l'urgence et la portée de la consolidation de la reconstruction démocratique et sociale, la réconciliation politique et le vivre ensemble séculaire du peuple ivoirien, selon M. Diène.
Pour lui, la situation des droits de l'homme dans ce pays est caractérisée par des progrès démocratiques, économiques et sociaux décisifs mais aussi par des défis majeurs. Elle nécessite en conséquence un soutien vigilant de la communauté internationale, a conclu M. Diène.
Le rapport de l'Expert indépendant sur la situation des droits de l'homme en Côte d'Ivoire (A/HRC/22/66), est le résultat de sa troisième visite dans le pays, du 24 septembre au 12 octobre 2012 et vise à rendre compte de la situation des droits de l'homme en Côte d'Ivoire du 15 juillet au 15 décembre 2012
Pays concerné
La Côte d'Ivoire a salué l'action de la communauté internationale en faveur de la paix en Côte d'Ivoire et la pertinence des recommandations issues du rapport de l'Expert indépendant. Il convient cependant de souligner que la liberté d'expression et d'association est garantie par la Constitution. En outre, l'opposition dispose désormais d'un statut légal et les autorités ivoiriennes s'engagent dans des relations constructives avec elle. En effet, le Gouvernement accorde une grande importance à la «décrispation politique». À cet égard, le processus de désarmement, démobilisation et réintégration reste soumis aux faibles capacités de l'État. La Côte d'Ivoire appelle à la levée de l'embargo sur les armes afin de permettre une stabilisation de la situation sécuritaire. Des enquêtes non judiciaires ont été lancées sur les allégations d'actes de torture. La lenteur des procédures est due à l'absence de réponses des témoins, qui craignent pour leur sécurité. S'agissant des violences faites aux enfants, la Côte d'Ivoire s'est engagée dans le processus de ratification des deux protocoles additionnels à la Convention relative aux droits de l'enfant. En outre, l'accès à la justice est facilité par la fourniture d'aide judiciaire. L'État met tout en œuvre pour garantir les plus hauts standards en matière d'administration de la justice. Par ailleurs, la Côte d'Ivoire a ratifié les Statuts de Rome instituant la Cour pénale internationale. Nombre d'autres réalisations sont à souligner, parmi lesquelles la création d'une commission nationale des droits de l'homme conforme aux Principes de Paris, la mise sur pied d'une commission de réconciliation nationale et la révision du Code la famille. Pour conclure, la Côte d'Ivoire reste ouverte à toutes les critiques constructives et au soutien de la communauté internationale.
Débat interactif
La coopération de la Côte d'Ivoire avec l'Expert indépendant et avec les autres mécanismes du Conseil a été saluée par l'ensemble des délégations. Certaines se sont toutefois inquiétées de la fragilisation progressive du climat sécuritaire dans le pays. Le Gabon, au nom du Groupe africain, a ainsi déploré la persistance d'agressions mortelles, ayant fait au total soixante victimes, et regretté la riposte disproportionnée des Forces républicaines de Côte d'Ivoire à ces attaques, ainsi que la destruction du camp de réfugiés de Nahibly. «Le pouvoir se conquiert par les urnes», a observé le représentant africain.
Dans ce contexte, il est important que le Gouvernement progresse plus rapidement sur la voie du désarmement et de la réforme de la sécurité: les lacunes dans ces domaines sont à l'origine des tensions actuelles, ont analysé les États-Unis. Cela est d'autant plus urgent que cette tension peut avoir des conséquences dans la région, notamment un risque de contagion, ont observé d'autres délégations. En raison de ce potentiel explosif, il est important que le Gouvernement de Côte d'Ivoire jouisse du soutien de la communauté internationale, y compris de la Mission des Nations Unies en Côte d'Ivoire (ONUCI) ont ajouté le Botswana et le Groupe africain. L'Australie s'est dite elle aussi préoccupée par la recrudescence de la violence en Côte d'Ivoire, qui pourrait présager un retour au climat d'insécurité qui prévalait en août et septembre derniers, et plus généralement au cours des dix années de guerre civile.
Pour stabiliser la situation, la Côte d'Ivoire doit accélérer sa réconciliation nationale et lutter contre l'impunité, ont plaidé d'autres délégations. Pour l'Algérie, l'exemple de la région du Sahel devrait encourager le Gouvernement en ce sens. La pacification des communautés vivant en Côte d'Ivoire est urgente, a poursuivi la délégation du Bénin. Les États-Unis se sont interrogés sur la manière d'obtenir la participation du Front patriotique ivoirien (FPI), parti d'opposition de l'ancien président Laurent Gbagbo.
La France s'est pour sa part déclarée préoccupée par les allégations de violations des droits de l'homme par les Forces républicaines de Côte d'Ivoire. La «justice des vainqueurs» et les abus contre les opposants politiques présumés risquent de plonger la Côte d'Ivoire dans un nouveau cycle de violence. La France s'est en outre déclarée opposée à toute levée de l'embargo sur les armes à destination de la Côte d'Ivoire, estimant que le nombre important d'armes en circulation dans le pays justifie son maintien. Le Gouvernement peut cependant se procurer des armes dans les limites du régime dérogatoire.
Tout en soulignant la difficile reconstruction après une longue période de tensions, les Maldives ont estimé que le chemin vers la réconciliation ne doit pas être entravé par des «éléments non nécessaires». Il est également important de faire en sorte que les crimes du passé soient punis et les Maldives s'interrogent sur l'impartialité de la Commission ivoirienne de dialogue, vérité et réconciliation. L'Union européenne s'est demandé si la ratification du Statut de Rome par la Côte d'Ivoire lui permettra de lutter efficacement contre l'impunité. Le Royaume-Uni a dit soutenir la poursuite par la Cour pénale internationale de responsables de violations des droits de l'homme en Côte d'Ivoire.
Le Sénégal a souligné que la Côte d'Ivoire méritait d'être soutenue davantage par la communauté internationale pour réussir le pari du développement, pari dans lequel le respect des droits de l'homme doit demeurer une priorité. Le Togo a affirmé avoir offert ses bons offices dès 2002 en vue du règlement du conflit, fournissant notamment des Casques bleus. Sa délégation se réjouit de la volonté des autorités de lutter contre l'impunité. Le Togo est préoccupé par la fragilisation de la situation sécuritaire par des attaques armées visant à replonger le pays dans la violence et à remettre en cause ses acquis démocratiques. Pour sa part, Djibouti a appelé le Gouvernement de la Côte d'Ivoire à maintenir sa dynamique démocratique. Il encourage également ses efforts en matière de lutte contre l'impunité, appelant la communauté internationale à continuer de soutenir la Côte d'Ivoire. Le Maroc a salué la stabilisation sécuritaire et économique de la Côte d'Ivoire; il se félicite aussi des mesures de réconciliation et de désarmement prises par le gouvernement de la Côte d'Ivoire.
La Suisse a notamment demandé à l'Expert indépendant quel rôle pouvait jouer la communauté internationale afin de constituer une société multiculturelle, démocratique, égalitaire et respectueuse des droits de l'homme en Côte d'Ivoire. Elle a aussi demandé quelles mesures concrètes étaient préconisées par l'Expert indépendant pour soutenir, depuis l'extérieur, le processus de réforme du secteur de la sécurité de la Côte d'Ivoire. L'Australie a demandé l'avis de l'Expert indépendant sur la manière de briser la culture de la violence contre les femmes en Côte d'Ivoire.
Le Fonds des Nations unies pour l'enfance s'est dit très préoccupé par la violence sexuelle contre les mineurs en Côte d'Ivoire, 523 cas ayant été signalés l'an dernier. L'UNICEF regrette que peu de responsables de cette violence aient été traduits en justice et condamnés. Les abus sexuels et la violence contre les enfants sont malheureusement tolérés en Côte d'Ivoire, comme le démontre une enquête récente selon laquelle 47% des enseignants ont eu des relations sexuelles avec des élèves. D'autre part, l'accès à la justice reste très difficile en Côte d'Ivoire, particulièrement dans l'ouest du pays.
Parmi les organisations non gouvernementales qui sont intervenues au sujet du rapport sur la Côte d'Ivoire, l'Organisation mondiale contre la torture a estimé que ce rapport reflète exactement la situation sur le terrain. Elle s'est dite préoccupée par la lenteur de la réforme du système de sécurité, au vu de la situation sécuritaire difficile. En outre, les procédures judiciaires engagées à ce jour ne concernent que les partisans de l'ancien Président Laurent Gbagbo, a-t-elle regretté, à l'instar de la Fédération internationale des droits de l'homme. Cette dernière a rappelé que de nombreuses attaques ont été commises au cours des derniers mois contre la population et les autorités. Celles-ci ont souvent réagi avec violence, commettant des violations des droits de l'homme. Pour sa part, la Rencontre africaine pour la défense des droits de l'homme a indiqué que la Côte d'Ivoire reste confrontée à de grands défis sécuritaires, ainsi qu'à la déliquescence de l'appareil étatique et du système judiciaire. Seule une justice saine et équitable permettra une véritable réconciliation nationale, a-t-elle estimé. Enfin, le Bureau international catholique de l'enfance a appelé à la mise en place d'un cadre institutionnel contre la violence faite aux enfants. Il s'est dit préoccupé de la requalification de crimes sexuels en atteintes à la pudeur, sanctionnées par des peines dérisoires. L'augmentation du nombre d'agressions sexuelles dans le cadre scolaire est très préoccupante aussi.
Conclusion
Pour M. DIÈNE, il faudrait les acteurs politiques ivoiriens fassent passer le débat du terrain de la violence à celui du dialogue. Tout en notant les difficultés de la Côte d'Ivoire, M. Diène s'est félicité de la reprise du dialogue politique dans ce pays. Pour autant, il faut que la justice reste impartiale, a-t-il insisté, rappelant que le pays a été plongé dans la violence pendant dix ans: il y a encore des charniers à découvrir en Côte d'Ivoire. L'impartialité de la Commission dialogue, vérité et réconciliation est également primordiale, a encore déclaré M. Diène. Les notions d'équité et de justice sont bien comprises en Côte d'Ivoire: le fait qu'aucune des personnes accusées par la Cour pénale internationale n'appartienne au parti au pouvoir soulève bien des questions au sein des populations, a dit l'Expert, appelant cette institution à élaborer une stratégie de poursuite pénale sur le plan international.
S'agissant de la situation sécuritaire, l'Expert indépendant sur la situation des droits de l'homme en Côte d'Ivoire a fait remarquer que le pays a connu dix ans de violence qui ont forgé des comportements et des réflexes. En outre, la Côte d'Ivoire est située dans une zone instable, près du Liberia notamment. La communauté internationale doit imaginer une véritable stratégie de sécurité, y compris en donnant les moyens à la Côte d'Ivoire de défendre sa sécurité intérieure, c'est-à-dire en levant l'embargo sur les armes. La situation au Mali crée en outre une situation de déstabilisation à long terme qu'il ne faut pas négliger. L'action militaire au Sahel n'est pas suffisante: il faut combattre l'idéologie profonde qui explique cette situation. Dans ce contexte, l'Islam régional doit débattre de la question. La Côte d'Ivoire bénéficierait aussi d'une dynamique d'intégration sous-régionale, a conclu M. Diène.
Assistance technique et renforcement des capacités: situation des droits de l'homme en Haïti
Présentation du rapport
M. MICHEL FORST, Expert indépendant sur la situation des droits de l'homme en Haïti, qui a précisé s'être rendu tout récemment dans le pays afin d'actualiser son rapport rédigé en décembre dernier, a rappelé que, l'an dernier, il avait fait état de sa satisfaction de voir mises en œuvre rapidement certaines des promesses électorales faites par le Président Michel Martelly. Il a toutefois reconnu que les informations qu'il avait recueillies lors de ses deux dernières missions étaient plus mitigées: «Je ne peux pas, je ne veux pas vous cacher mon inquiétude et ma déception devant l'évolution de la situation dans les domaines de l'état de droit et des droits de l'homme, ce que confirme malheureusement le rapport du Secrétaire général des Nations unies qui sera présenté demain à New York». M. Forst s'est dit «inquiet de voir que se développement les pratiques de nominations de magistrats à des fins politiques ou partisanes, ou bien encore pour protéger tel ou tel personnage important». Il s'est aussi dit «inquiet de constater que se poursuivent les arrestations arbitraires et illégales dans l'ensemble du pays». Pour M. Forst, «il n'est pas concevable que, dans un état de droit, les responsables de l'application des lois se sentent autorisés à ne pas respecter la loi». Il s'est dit tout aussi inquiet de voir les menaces proférées par le Ministre de la communication contre des journalistes. Il a souligné par ailleurs que les conditions de détention dans les 17 prisons du pays, où sont incarcérées plus de 9000 personnes, étaient déplorables, 80% d'entre elles étant «en détention préventive prolongée». De fait, la situation sécuritaire a empiré, le nombre de morts violentes étant «impressionnant»: «La peur est revenue», a-t-il constaté.
L'Expert indépendant s'est réjoui en revanche du travail entrepris pour rénover le code pénal et il encourage les autorités à traiter cette question avec la plus grande urgence. Il a aussi salué les efforts énormes accomplis par l'État pour réformer la police, avec le soutien fort et salutaire de la communauté internationale. Les sondages montrent que la confiance revient dans l'institution policière, selon lui, même si des exactions policières sont encore couramment signalées. Parmi les signes encourageants, l'Expert indépendant a également cité le rôle joué par l'Office de la protection du citoyen, la nomination d'une Ministre des droits humains et de la lutte contre l'extrême pauvreté. En ce qui concerne la lutte contre l'impunité, il a rappelé qu'il avait, avec la Haut-Commissaire aux droits de l'homme, «rappelé que la tenue d'un procès équitable de l'ancien Président Jean-Claude Duvalier serait un événement important qui montrerait à la population que la justice fonctionne en Haïti et que dorénavant l'impunité ne sera plus tolérée pour les crimes les plus graves».
M. Forst a rappelé ses deux recommandations principales. La première porte sur la question de l'état de droit, dont il a pu constater que «le concept n'était pas encore très clair». La deuxième proposition s'inscrit dans la perspective du départ de la Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH). Il estime que la section des droits de l'homme devrait ouvrir dès maintenant un bureau qui, après le départ de la MINUSTAH, pourrait devenir un bureau du Haut-Commissariat des droits de l'homme au cœur de Port-au-Prince. Enfin, l'Expert indépendant s'est réjoui de l'annonce du premier ministre du lancement d'une «diplomatie économique» car ce dont le pays a maintenant le plus besoin est de créer des emplois.
En conclusion, M. Forst a annoncé qu'il avait décidé de démissionner de son mandat d'Expert indépendant, qu'il occupait depuis 2008, cela «pour des raisons personnelles».
Le rapport sur la situation des droits de l'homme en Haïti (A/HRC/22/65) décrit les avancées s'agissant des différentes élections, de la réforme de la justice, de l'École de la Magistrature et de la lutte contra la corruption, mais aussi les obstacles auxquels le pays est confronté. Il se penche sur les questions relatives à l'adoption (les «restavek») et aux victimes de trafic. Il fait également des recommandations précises sur le droit à l'alimentation, à l'éducation, à l'accès aux soins et se penche sur la situation liée à l'épidémie de choléra.
Pays concerné
Haïti a déclaré que les Nations Unies sont présentes en Haïti depuis vingt ans, soutenant la réalisation d'énormes progrès dans le domaine des droits de l'homme et de la démocratie. Il reste cependant beaucoup à faire. Le renouvellement de la MINUSTAH par le Conseil de sécurité le 21 octobre 2012 témoigne de la nécessité de continuer à soutenir et renforcer les capacités des institutions garantes de l'état de droit. Au cours des dernières années, Haïti a mis sur pied des institutions liées à la protection des droits de l'homme: l'Office de la protection du citoyen, le Ministère de la condition féminine et des droits de la femme, la Secrétairerie d'État à l'intégration des personnes handicapées, l'Office national de la migration, l'Unité de lutte contre la corruption et le Ministère chargé des droits humains et de la lutte contre la pauvreté extrême. La situation carcérale, la détention préventive prolongée, l'insécurité et l'impunité constituent des obstacles à la bonne marche de l'État de droit. Face à ces fléaux, des séminaires à l'intention des juges ont été organisés. Haïti envisage en outre de créer au sein des tribunaux des «Commissions de détention», affectées au tri des dossiers de personnes en situation de détention préventive prolongée. Concernant la lutte contre l'insécurité, des efforts ont été déployés pour créer un environnement sûr et stable. Le salaire des policiers a été augmenté et un programme de formation continue mis en place. En outre, le nombre de policiers est graduellement augmenté. Malgré le chemin parcouru par le Gouvernement, des contraintes d'ordre économique et social continuent d'entraver ses efforts; 78% de la population vivent avec moins de deux dollars par jour, un tiers de la population est touché par l'insécurité alimentaire. Ces chiffres illustrent l'extraordinaire pauvreté, les conditions de vie et les défis auxquels le pays fait face. En dépit de cette situation, beaucoup de progrès ont été réalisés en matière de droits sociaux, économiques et politiques, avec de maigres moyens. Ainsi, des programmes sociaux ont été mis sur pied en faveur des démunis, tout comme un programme de scolarisation universelle, gratuite et obligatoire. En conclusion, Haïti exprime l'espoir que la communauté internationale poursuivra sa politique d'appui et de solidarité, indispensables pour soutenir l'engagement renouvelé du Gouvernement haïtien en faveur des droits de l'homme et de la consolidation de l'état de droit en Haïti.
Débat interactif
Le Brésil, au nom du Groupe des pays d'Amérique latine et des Caraïbes, dont Haïti est membre, a estimé qu'au vu des défis restant encore à relever, la communauté internationale doit demeurer aux côtés de ce pays. L'Union européenne et la France ont demandé quelles sont les mesures prioritaires pour mieux coordonner les plans d'urgence et pour asseoir l'indépendance du pouvoir judicaire. Le Chili s'est interrogé sur les mesures à prendre, à court terme, pour accompagner les efforts de développement d'Haïti. L'Argentine estime à cet égard qu'il faut investir dans le secteur agricole, Haïti important plus de 50% de ses besoins alimentaires.
Les Maldives ont souligné la gravité des problèmes des droits de l'homme que connaît Haïti, notamment dans le domaine du logement. La communauté internationale doit respecter ses engagements, notamment ses promesses d'aide. Le Koweït, qui a fait un don de trois millions de dollars après le séisme qui a ravagé Haïti, finance d'autres programmes dans ce pays pour un montant de dix millions de dollars. L'Uruguay a tenu sa promesse de verser à Haïti un dollar par Uruguayen, a annoncé sa délégation. Vu la situation d'Haïti, ce pays est en mesure de faire appel au Fonds volontaires des Nations Unies, a conseillé la représentante. Pour y avoir déjà procédé de manière unilatérale, le Venezuela a plaidé pour une annulation totale de la dette d'Haïti pour l'aider à tenir ses engagements en matière de droits de l'homme.
Le Maroc a salué la décision du chef de l'État haïtien de nommer une femme à la tête du Ministère des droits de l'homme. Le Maroc soutient les initiatives visant à instaurer l'état de droit et relève, avec satisfaction, la nomination du Conseil électoral permanent qui jouera un rôle clé lors des prochaines échéances électorales. De même, les États-Unis ont estimé que cette nomination indique que le Gouvernement respectera ses engagements constitutionnels relatifs à l'organisation rapide d'élections crédibles et transparentes. L'Algérie s'est félicitée de la poursuite de la coopération fructueuse d'Haïti avec les mécanismes des Nations unies. Compte tenu des contraintes objectives auxquelles le pays fait face, il est primordial que la communauté internationale continue à apporter son aide aux autorités haïtiennes, avec générosité et en fonction de leurs besoins et priorités, estime l'Algérie.
L'Espagne, en revanche, a déploré que la situation en Haïti continue d'être alarmante dans de nombreux domaines, à commencer par la paralysie des institutions, qui rend difficile le fonctionnement normal de l'état de droit. D'autre part, les allégations de traite d'enfants et les lacunes dans les processus d'adoption mettent en relief l'échec de l'État dans la défense des intérêts des plus vulnérables. La délégation espagnole a souhaité connaître l'avis de M. Forst sur l'opportunité de maintenir un lien entre le Haut-Commissariat des droits de l'homme et Haïti, vu la nécessité de coordonner la myriade d'organes et d'agences à Port-au-Prince. La Suisse, qui a regretté, comme le Maroc un peu plus tôt, la démission de l'Expert indépendant, a déclaré soutenir les recommandations émises dans son rapport, en particulier celles relatives au renforcement des institutions. Le renforcement de l'Office de la protection du citoyen et de la Direction de la protection civile, ainsi que l'ouverture d'un bureau du Haut-Commissariat aux droits de l'homme à Port-au-Prince sont des éléments propres à renforcer le système judiciaire haïtien. Les moyens de l'Office de la protection du citoyen doivent, en particulier, être sensiblement renforcés, estime la Suisse.
Pour Cuba, si la situation haïtienne est certes complexe, il ne faut pas perdre de vue la responsabilité de la communauté internationale dans les circonstances et les conditions prévalant dans ce pays. Cuba considère que la reconstruction et le développement sont autant de dettes envers le peuple d'Haïti, après plusieurs siècles de colonialisme.
S'agissant des organisations non gouvernementales, la Fédération internationale des droits de l'homme a constaté que, plus de trois ans après le séisme, et malgré l'appui de la communauté internationale, l'insécurité persiste en Haïti. La question de l'accès au logement reste préoccupante, des milliers de personnes vivant encore dans des camps insalubres. En outre, un climat d'impunité règne dans le pays, alimenté par un système judiciaire à deux vitesses. Enfin, 70% de la population carcérale est en détention préventive prolongée et privée d'assistance juridique. Human Rights Watch a pour sa part relevé que la police haïtienne devrait mener des réformes pour lutter contre la corruption. Concernant l'épidémie de choléra, il semble évident que les Nations Unies ont une responsabilité à cet égard, en dépit des dénégations de l'organisation. Le refus des Nations Unies de reconnaître leur responsabilité aura-il un impact négatif sur la lutte contre l'impunité à travers le monde, s'est-elle interrogée?
Conclusion
M. FORST a souligné que son rapport avait pour but d'exposer les réalisations du Gouvernement et les difficultés qu'il doit surmonter. Il a rappelé que l'état de droit concerne tous les ministères, y compris ceux en charge du développement économique et social. M. Forst a proposé la création d'une institution de coordination des efforts consentis en faveur des droits de l'homme, à l'image du «Délégué interministériel» chargé de coordonner l'action du Gouvernement du Maroc. En effet, l'Office de la protection du citoyen (OPC) est chargé de la protection des droits de l'homme, et non de la coordination du travail entre les ministères. Il faudrait aussi assurer le développement et la pérennité de l'OPC. À l'heure actuelle, il a besoin de financement complémentaire pour poursuivre son développement, notamment pour établir des bureaux régionaux. Enfin, la ratification de certains instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme pourrait participer à l'amélioration des droits de l'homme sur le terrain. Par exemple, la ratification du Protocole facultatif à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants donnerait la possibilité au Gouvernement de confier à l'OPC le mandat de Mécanisme national de prévention de la torture.
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HRC13/043F