"Ils sont arrivés de jour pendant que nous étions aux champs. Nous n'étions pas très inquiets, car nous savions qu'ils allaient finir par arriver mais nous pensions qu'ils continueraient leur route pour Abidjan. Nous nous étions dits : ce ne sera pas comme pendant la guerre. Ils veulent juste montrer qu'ils contrôlent tout le territoire. Mais en réalité, ils ont tué ma sœur de 16 ans devant moi et ont commencé à brûler les maisons et les greniers" : ainsi commence le poignant témoignage de Simon Taye, réfugié contacté par la MISNA au sein d'un groupe d'Ivoiriens au Libéria, où ils sont arrivés après un jour et demi de marche dans la forêt située entre les deux pays.
Le récit de Simon décrit le climat de terreur et d'insécurité qui a caractérisé ces derniers jours l'avancée des forces ralliées à Alassane Ouattara dans le Sud du pays. Le conflit amorcé par la crise postélectorale risque de replonger la Côte d'Ivoire dans la guerre civile, à quatre ans seulement de la conclusion de l'accord de paix entre le président sortant Laurent Gbagbo et les anciens rebelles, qui ont désormais repris les armes.
"C'était le 15 mars, je n'oublierai jamais ce jour. Les forces de l'ordre ne patrouillaient plus depuis quelques temps quand des hommes armés des Forces républicaines sont arrivés dans notre ville, à Toulepleau, qui est la dernière ville ivoirienne avant la frontière, à environ 130 kilomètres de Duékoué. Ils se sont mis à tirer sur n'importe quoi, y compris sur les civils, des femmes et des enfants sans défense. Certains ont été blessés aux mains et aux pieds et n'ont pas pu s'échapper pour se cacher dans la forêt comme je l'ai fait", raconte l'interlocuteur de la MISNA, qui a rencontré sur sa route "les habitants d'autres villages voisins qui fuyaient tous vers le Libéria. Comme moi, ils préféraient éviter les routes pour ne pas rencontrer de barrage".
Un grand nombre d'habitants de la région se sont réfugiés de l'autre côté de la frontière, au Grand Gedeh, qui abrite actuellement près de 30.000 Ivoiriens, originaires pour la plupart de l'Ouest du pays, où, selon l'organisation locale Caritas, les violences commises sur la population civile par les Forces républicaines se seraient avérées les plus atroces. "Ils sont tous profondément choqués. Certains n'ont pas parlé ni mangé pendant plusieurs jours. Et il y a des enfants parmi eux", indique à la MISNA Augustine Nugba, coordinateur local de Caritas. "Nous leur fournissons toute l'assistance dont nous sommes capables. Mais ces gens n'ont rien", explique-t-il, qualifiant leurs conditions de "très précaires". Dès que le gouvernement donnera son feu vert, ajoute-t-il, "nous construirons un camp de réfugiés pour faire face à l'urgence".
(Alessia de Luca Tupputi)