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La situation au Burundi - Rapport du Secrétaire général (S/2019/837)

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I. Introduction

  1. Le présent rapport est soumis en application de la résolution 2303 (2016), dans laquelle le Conseil de sécurité m’a prié de lui faire rapport sur la situation au Burundi tous les trois mois, y compris sur tout fait public d’incitation à la haine et à la violence. Il couvre la période allant du 14 juin au 15 octobre 2019 et fait le point de l’évolution de la situation au Burundi, des efforts faits au niveau régional pour engager un dialogue ouvert à tous et des activités de mon Envoyé spécial pour le Burundi et des entités des Nations Unies dans le pays. Il contient également des suggestions sur les mesures à prendre pour faire progresser le dialogue interburundais, examine la voie à suivre et analyse le rôle de l’Organisation des Nations Unies à l’approche des élections générales prévues le 20 mai 2020. Après la publication de mo n précédent rapport du 15 novembre 2018 (S/2018/1028), le Secrétariat a rendu compte au Conseil de sécurité, le 21 novembre 2018, le 19 février 2019 et le 14 juin 2019, de la situation au Burundi et des activités de mon Envoyé spécial.

II. Principaux faits nouveaux

A. Évolution politique

  1. Au cours de la période considérée, la situation politique au Burundi est restée marquée par l’impasse où se trouve le dialogue interburundais et les préparatifs des élections générales. La Commission électorale nationale indépendante a publié le calendrier électoral le 28 juin. Toutefois, on ignore toujours si toutes les parties prenantes intéressées participeront au scrutin, compte tenu du rétrécissement de l’espace politique et de la nécessité d’instaurer un cadre propice à la tenue d’élections pacifiques, transparentes et crédibles. Si le Président de la République du Burundi, Pierre Nkurunziza, a répété à plusieurs occasions qu’il ne briguerait pas de nouveau mandat, le parti au pouvoir n’a pas encore désigné son ou sa candidat(e) à la prochaine élection présidentielle. De surcroît, le Burundi a enregistré une hausse sensible du nombre d’actes d’intolérance politique, souvent commis par les Imbonerakure, l’aile jeunesse du Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces pour la défense de la démocratie (CNDD-FDD), auxquels se sont joints, ou n’ont opposé aucune résistance, des représentants des autorités locales et des membres des services de sécurité.

Évolution de la situation au Burundi

  1. Depuis l’enregistrement du Congrès national pour la liberté (CNL) en février 2019, les activités politiques de ce parti et d’autres formations, telles que l’Union pour le progrès national (UPRONA) et les Forces nationales de libération (FNL), ont été entravées.

  2. Après une série d’actes de vandalisme perpétrés en juin et juillet contre les permanences du CNL dans tout le pays, le porte-parole du CNL a affirmé le 1er août que plus de 10 bureaux du parti avaient été incendiés ou endommagés. Il a conclu que ces attaques s’inscrivaient dans la stratégie du parti au pouvoir visant à intimider l’opposition. Le 18 août, un membre du CNL a été tué dans la région de Rugari lors d’un affrontement entre des partisans du CNL qui venaient d’assister à l’inauguration d’une permanence de leur parti, dans la province de Muyinga, et un groupe d’individus non identifiés soupçonnés de faire partie des Imbonerakure. Le 28 août, un Imbonerakure a succombé à ses blessures à l’hôpital Kira de Bujumbura après avoir pris part à un autre affrontement, survenu le 25 août, dans la province de Bujumbura Rural, entre de jeunes partisans du CNL et du CNDD-FDD.

  3. Le 15 juin, des individus non identifiés ont mis le feu au bureau du CNL situé à Nyabiraba, dans la province de Bujumbura. Le Directeur du CNL a imputé cette attaque aux Imbonerakure, qui auraient bénéficié de la complicité de la police et des administrateurs locaux. Il a prié instamment le Gouvernement de veiller à ce que tous les partis politiques puissent mener leurs activités librement. Le Secrétaire permanent du Ministère de l’intérieur a réfuté les allégations d’intolérance politique et laissé entendre que l’incendie de la permanence du CNL était un acte criminel. Les auteurs présumés ont effectivement été arrêtés le même jour et jugés le 19 juin. Neuf des 15 incendiaires présumés étaient des membres supposés du CNL. Ils ont été condamnés à deux ans de réclusion. Le 22 juin, le Directeur du CNL a fustigé la décision du tribunal, demandant comment des membres de son parti auraient pu incendier la permanence.

  4. Le 21 août, le premier Vice-Président du Burundi et le Ministre de l’intérieur ont tenu une réunion conjointe avec les chefs des partis politiques, les gouverneurs de province, les autorités communales ainsi que les représentants des forces de sécurité et de défense afin de discuter de l’organisation des élections de 2020. Le premier Vice-Président aurait exhorté les gouverneurs de province à demeurer neutres et à faire abstraction de leur affiliation politique pour dépasser les clivages partisans. Il a accusé les administrateurs locaux et des éléments des forces de sécurité et de défense d’empêcher les sociétés de transport de conduire les membres des partis d’opposition vers leurs lieux de rassemblement et exigé qu’il soit mis fin à ces irrégularités.

  5. Les dirigeants des partis politiques et les gouverneurs de province ont signé une trêve d’un mois pendant laquelle ils chercheraient des moyens appropriés de mettre un terme à l’intolérance politique. Une réunion de suivi présidée par le premier VicePrésident et le Ministre de l’intérieur a été convoquée le 24 septembre à Bujumbura. Lors de cette réunion, à laquelle ont assisté des chefs de parti politique, 15 des 18 gouverneurs de province ont accusé des membres du CNL d’être à l’origine de violences contre des partisans du CNDD-FDD. Le Ministre de l’intérieur a jugé la situation calme, à l’exception de quelques cas isolés d’insécurité imputables, d’après lui, à des membres du CNL. Le Secrétaire général du CNL a démenti ces allégations.

  6. Le 9 août, le Ministre de l’intérieur a levé la suspension du Conseil des patriotes et de sept autres partis. Ces partis étaient suspendus depuis le 13 juillet pour avoir remis tardivement leurs rapports d’activité. Le 21 août, le Ministère de l’intérieur a procédé à l’enregistrement du trente-quatrième parti politique du Burundi, le Mouvement des patriotes humanistes.

  7. Le 30 juin, à la veille du cinquante-septième anniversaire de l’indépendance burundaise, le Président Nkurunziza a engagé les Burundais à résister aux ingérences étrangères. Il a annoncé la suspension des contributions volontaires des citoyens ordinaires et des fonctionnaires au fonds électoral et le changement de nom de plusieurs monuments nationaux pour rappeler certains événements et personnages historiques importants à la mémoire des Burundais.

  8. Le 16 août, le conseiller principal en communication du Président, le porte - parole adjoint du Président et le Secrétaire général du Gouvernement ont tenu une conférence de presse dans la province de Gitega sur le thème « Élections 2020 : défis et perspectives ». Ils ont conseillé aux Burundais de rester calmes et de résister à toute tentative visant à perturber les élections et à faire couler le sang. Ils ont également affirmé que, depuis l’indépendance, le Burundi n’avait connu la démocratie qu’au cours des 18 dernières années, sous le régime du CNDD-FDD, et que le pays avait constamment progressé dans le maintien de la paix et de la sécurité depuis 2015.

  9. Le 20 août, le Président Nkurunziza a déclaré que les trois principaux objectifs qu’il avait fixés au début de son mandat avaient été atteints, à savoir : a) la paix, la sécurité et la justice pour toutes et tous ; b) la bonne gouvernance et la démocratie ; c) le développement inclusif et durable. Il a fait observer que le Burundi serait bientôt financièrement indépendant et deviendrait par conséquent autosuffisant. Il a également rappelé les événements ayant précédé le scrutin de 2015 et affirmé que certains Burundais s’employaient encore à déstabiliser le pays. Néanmoins, ceux-ci échoueraient car « les Burundais refuseront d’être réduits en esclavage ».

  10. Lors d’une conférence tenue par les porte-parole des ministères et des institutions publiques le 21 juin, le porte-parole du Président a démenti tout projet de rétablissement de la monarchie au Burundi, bien que certains monuments nationaux arborent la devise monarchique « Dieu, Roi et Burundi » en lieu et place de la devise nationale « Unité, Travail et Progrès ». Il a fait remarquer que la devise nationale était imposée par le parti UPRONA et estimé qu’un référendum serait nécessaire pour transformer le Burundi en monarchie.

  11. Le 4 août, le Conseil national pour le respect de l’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi et la restauration de l’état de droit (CNARED), plateforme regroupant les opposants en exil, a posé dans un communiqué de presse les conditions de sa participation aux élections de 2020, notamment l’ouverture de l’espace politique et l’arrêt des persécutions endurées par les membres et les sympathisants des partis d’opposition. Il a engagé le Gouvernement à se concerter avec l’ensemble des acteurs politiques burundais, dans le pays et à l’étranger, pour convenir des moyens d’organiser des élections crédibles et ouvertes à tous en 2020. Il a également demandé à la communauté internationale et à tous les partenaires du Burundi de continuer de faire pression sur le Gouvernement pour qu’il crée un environnement propice à la tenue d’élections équitables. Le Secrétaire exécutif de la plateforme, Anicet Niyonkuru, a appelé de ses vœux la tenue d’une réunion avec les membres du Gouvernement pour définir d’un commun accord les conditions préalables au retour au Burundi des membres du CNARED, qu’ils soient ou non poursuivis par la justice. D’autres dirigeants politiques en exil, notamment ceux qui avaient démissionné du CNARED au début du mois de mars, ont condamné cette demande, y voyant une capitulation.

  12. Par la suite, une délégation gouvernementale conduite par l’Ombudsman s’est entretenue avec des représentants du CNARED à Nairobi, du 28 août au 2 septembre. Le porte-parole de l’Ombudsman a précisé ultérieurement, dans un communiqué de presse, qu’il s’agissait d’une rencontre informelle faisant suite à d’autres réunions que l’Ombudsman avait tenues, en vertu de son mandat, avec des acteurs politiques au Burundi et à l’étranger. Il a également souligné que cette réunion ne s’était inscrite dans aucun cadre de négociation officiel et que les échanges avaient essentiellement porté sur la libération de prisonniers politiques, l’ouverture de l’espace politique, la révision de la composition de la Commission électorale nationale indépendante, la délivrance de passeports pour certains membres de l’opposition en exil, leur rapatriement groupé, l’annulation de mandats d’arrêt lancés contre certains membres de l’opposition en exil et la mise à disposition de gardes du corps pour celles et ceux qui retourneraient au Burundi. Il a en outre souligné que la réunion de Nairobi serait la dernière du cycle électoral actuel, qui s’achèverait en 2020. Le porte-parole du CNARED, Onésime Nduwimana, a rejeté le communiqué de l’Ombudsman et assuré que des négociations avaient bel et bien eu lieu entre le CNARED et une délégation gouvernementale, avec la bénédiction du Gouvernement burundais.

  13. Le 5 octobre, M. Anicet Niyonkuru, est arrivé au Burundi pour une brève visite. Le 7 octobre, après s’être entretenu avec l’adjoint du Ministre de l’intérieur, Tharcisse Niyongabo, il a annoncé qu’il était au Burundi pour discuter du retour de tous les membres exilés du CNARED. Le même jour, le Secrétaire permanent du Ministère de l’intérieur a déclaré aux médias que les dirigeants politiques en exil qui faisaient l’objet de poursuites pouvaient revenir au Burundi mais devraient répondre de leurs crimes présumés et seraient jugés à leur retour.

  14. Il convient de rappeler que, le 10 septembre, huit anciens membres du CNARED avaient créé une nouvelle plateforme regroupant des opposants politiques en exil, baptisée Coalition des forces de l’opposition burundaise pour le rétablissement de l’Accord d’Arusha. Dans un communiqué du 23 août appelant au report ou au boycott des élections, ils avaient noté que les préparatifs du scrutin se déroulaient dans un climat de peur, marqué par le resserrement de l’espace politique, et appelé l’attention sur les discours de haine, les actes de harcèlement et la restriction des droits civils et politiques comme la liberté d’expression. Ils avaient également déploré que le dialogue mené sous l’égide de la Communauté d’Afrique de l’Est n’ait pas donné les résultats escomptés.

  15. Dans le même contexte, la Conférence des évêques catholiques du Burundi a dénoncé, dans une lettre lue le 21 septembre dans les églises du pays, les efforts visant à « étouffer et violenter certains partis politiques et persécuter leurs membres ». Elle a fait part de son inquiétude face à l’intolérance et à la violence politique qui régnaient dans le pays à l’approche de l’élection présidentielle de mai 2020, ajoutant que les actes criminels allaient jusqu’à l’exécution, pour des motifs politiques, de personnes ne partageant pas les vues du Gouvernement. Ils ont également accusé les Imbonerakure de perpétrer des atrocités et de « se substituer aux forces de sécurité ». Le conseiller en communication du Président et le Secrétaire général du CNDD-FDD ont accusé les évêques de « cracher leur venin de haine à travers des messages incendiaires » à la veille des élections, de « semer la division » et d’« enseigner la haine aux fidèles ».

  16. Le 17 août, le CNDD-FDD a célébré la « Journée des Imbonerakure ». À Bujumbura, le Ministre des affaires étrangères, le maire de Bujumbura, le Secrétaire général du CNDD-FDD, le conseiller principal en communication au Bureau de la présidence et d’autres responsables gouvernementaux ont assisté à cet événement organisé chaque année depuis 2017. Selon diverses sources, les Imbonerakure défilant dans différents quartiers de Bujumbura ont scandé des slogans dénonçant, entre autres, « les détracteurs qui collaborent avec les colonisateurs et salissent leur nom dans les organisations internationales ». Certains membres du parti ont mis en garde contre la répétition des événements qui avaient conduit à la crise de 2015 et invité les opposants politiques à rejoindre les rangs du CNDD-FDD. Dans d’autres slogans, les Imbonerakure ont réaffirmé leur soutien au Président Nkurunziza tout en menaçant l’opposition. Dans l’allocution qu’il a adressée aux partisans du CNDD-FDD à Kanyosha, en périphérie de Bujumbura, le Secrétaire général du parti a insisté pour que les Imbonerakure accordent toujours la priorité au dialogue et rassurent les jeunes d’autres partis politiques sur leur objectif, qui était le développement du Burundi. Il leur a également rappelé que le Burundi était leur héritage commun et qu’ils devraient continuer de vivre en bonne intelligence avec les autres groupes de jeunes.

  17. Concernant le dialogue interburundais mené sous l’égide de la Communauté d’Afrique de l’Est, les responsables du Gouvernement ont régulièrement affirmé qu’il était terminé et se sont plaints de l’immixtion de certains membres de la communauté internationale dans les affaires intérieures du Burundi, tout en soulignant que le dialogue portait essentiellement sur les préparatifs des élections générales. L’opposition n’a eu de cesse, quant à elle, de critiquer les pays de la région et la communauté internationale pour leur incapacité à obtenir, sans conditions préalables, la participation du Gouvernement au dialogue inclusif, tout en appelant à la tenue d’une dernière session du dialogue national au Burundi.