CCP/13
De retour du Burundi, Louise Arbour plaide pour un élargissement du concept de « responsabilité de protéger » à la prévision et à la réaction à un danger imminent
« Il ne peut y avoir de paix sans justice », a déclaré ce matin la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, Mme Louise Arbour, venue présenter aux membres de la Commission de consolidation de la paix les conclusions de la mission qu'elle vient d'accomplir au Burundi. Ce déplacement, effectué du 19 au 23 mai, s'inscrivait dans le cadre d'une tournée de deux semaines qu'elle a effectuée, en Afrique centrale, dans la région des Grands Lacs.
Mme Arbour a ouvert son exposé en rappelant aux membres de la Commission que l'Accord signé le 28 août 2000 à Arusha, en République-Unie de Tanzanie, par les parties au conflit du Burundi, avait prévu la création de mécanismes de justice transitionnelle en vue de faciliter la réconciliation, la justice et la paix et le développement durables dans le pays. Si depuis la conclusion de l'Accord, le Conseil de sécurité et le Gouvernement de transition du Burundi sont tombés d'accord sur la mise en place d'une commission vérité et réconciliation et d'un tribunal spécial, le consensus ne s'est pas encore fait en ce qui concerne les questions relatives au cadre régissant les relations entre la commission vérité et réconciliation et le tribunal, et celles relatives au respect du principe d'indépendance du procureur du tribunal, a fait remarquer Louise Arbour.
Mme Arbour a déploré l'impunité dont semblent jouir les auteurs de crimes et de violations des droits de l'homme, cette impunité étant perçue par l'opinion publique burundaise comme la règle plutôt que comme l'exception. Face aux sévices infligés quotidiennement aux femmes et aux enfants, à la multiplication des litiges fonciers qu'entraine le retour des réfugiés, et au vu des discriminations dont est victime la minorité Batwa, Louise Arbour a déclaré qu'il fallait donner la priorité à la mise en place d'une justice efficace et impartiale au Burundi, conjointement au règlement des autres aspects de la reconstruction postconflit.
Prenant la parole dans le cadre d'un échange de vues entre les délégations et la Haut-Commissaire, le représentant du Burundi a estimé qu'au regard du lourd passé que traînait son pays, la situation qui y prévaut aujourd'hui est plutôt encourageante. Il a à cet égard cité les efforts déployés pour accorder aux femmes une place significative dans la vie politique et dans la gestion des affaires publiques. Il a à cet égard indiqué que les femmes détenaient en ce moment, au sein du Gouvernement du Burundi, certains des portefeuilles ministériels les plus importants.
Interrogée par le représentant du Luxembourg sur la façon dont il faudrait procéder pour inscrire une stratégie de défense et de promotion des droits de l'homme dans les efforts de consolidation de la paix, Mme Louise Arbour lui a fait observer que les idéaux de paix et de justice étaient indissociables. Elle a préconisé d'élargir le concept de « responsabilité de protéger », qui a été entériné par les dirigeants du monde lors du Sommet mondial de 2005 et qui devrait englober les responsabilités de prévoir, de réagir (à un péril imminent) et de reconstruire, en s'appuyant sur des mécanismes de justice éprouvés, et notamment sur ceux qui existent dans la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide.
Exposé de la Haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme à l'intention des membres de la Commission de consolidation de la paix
Mme LOUISE ARBOUR, la Haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, est venue présenter ce matin aux membres de la Commission de consolidation de la paix les conclusions de la visite qu'elle a effectuée du 19 au 23 mai au Burundi, dans le cadre d'une mission de deux semaines dans la région des Grands Lacs. L'objectif de cette mission était de réaffirmer la volonté du Bureau de la Haut-Commissaire d'accompagner les efforts de reconstruction postconflit lancés au Burundi dans les domaines de la paix, de la justice et du respect des droits de l'homme, a indiqué Mme Arbour.
À l'ouverture de sa présentation, elle a soulevé la question de la justice de transition et a rappelé que la plupart des parties au conflit qu'a connu le Burundi avaient signé le 28 août 2000 à Arusha, en Tanzanie, un accord qui a débouché sur la création d'institutions démocratiques aux niveaux central et local. Cet accord prévoyait la mise en place de mécanismes de justice de transition pour faciliter la réconciliation, la justice, la paix durable et le développement, a souligné Mme Arbour. Le Conseil de sécurité et le Gouvernement de transition du Burundi sont tombés d'accord sur la mise en place d'un double mécanisme qui consiste en l'établissement d'une « commission vérité et réconciliation » et d'un tribunal spécial, a indiqué la Haut-Commissaire. Pour assurer le suivi de cet accord, des représentants du Bureau des affaires juridiques du Secrétariat des Nations Unies ont eu avec des membres du Haut Commissariat aux droits de l'homme une série de pourparlers au Burundi. À l'issue de ces entretiens, a dit Mme Arbour, ils n'ont pas réussi à s'entendre sur un certain nombre de points dont: la nature du processus de consultations nationales qui permettrait l'établissement de la « commission vérité et réconciliation »; l'inapplicabilité de l'amnistie pour les crimes de génocide; les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre; et enfin, les termes de la relation à établir entre cette commission et le tribunal spécial, y compris le principe d'indépendance du procureur, a dit Louise Arbour.
Au terme de la mission qu'elle vient de mener au Burundi, la Haut-Commissaire aux droits de l'homme a annoncé aux membres de la Commission de consolidation de la paix qu'un consensus avait été atteint avec les parties concernées sur les deux premiers points cités ci-dessus. Mme Arbour a également dit qu'elle était encouragée par l'accord obtenu avec le Président burundais en ce qui concerne la composition du Comité directeur appelé à conduire les consultations au niveau national. Un responsable du Gouvernement, un fonctionnaire des Nations Unies et un représentant de la société civile feront partie du Comité, a-t-elle précisé.
Évoquant ensuite la question de l'impunité, la Haut-Commissaire aux droits de l'homme a déclaré qu'il s'agissait d'une grave préoccupation, dans la mesure où l'impunité a fini par être perçue par l'opinion publique burundaise comme la règle plutôt que comme l'exception. L'idée selon laquelle le politique influe régulièrement sur le judiciaire est profondément implantée dans les habitudes et les esprits, a-t-elle souligné. À ce propos, Mme Arbour a cité deux affaires: les massacres de Muyinga, perpétrés en août 2006; et ceux de Gatumba, perpétrés en 2004 dans les environs de la capitale, Bujumbura. Les enquêtes officiellement ouvertes ont été menées sans aucune transparence, renforçant l'impression qu'ont les observateurs d'un manque total de volonté politique face à la culture d'impunité, qui place les gens qui sont au pouvoir au-dessus des lois, a regretté la Haut-Commissaire.
Mme Arbour a par ailleurs noté que les femmes et les enfants étaient les principales victimes des sévices et des abus qui se produisent chaque jour au Burundi, selon les informations recueillies lors de sa mission. Elle a indiqué que sa rencontre avec un groupe de victimes, à Bujumbura, lui avait permis de mieux comprendre l'ampleur de ce problème ainsi que le manque flagrant de moyens pour répondre aux conséquences sociales, économiques et psychologiques des viols, de la torture et des autres formes de violence perpétrés contre les femmes et les enfants. Elle a estimé que la création d'un système de justice adéquat était essentielle pour pouvoir faire face à cette situation et que le Gouvernement du Burundi devait montrer sa capacité à protéger toutes les personnes vivant sur le territoire national, sans aucune distinction.
Rappelant que la violence sexuelle à l'égard des femmes était souvent utilisée comme une arme dans les situations de conflit, Mme Arbour a réclamé que les efforts de consolidation de la paix soient menés de façon à permettre l'identification des criminels de guerre et la facilitation de leur transfert et de leur comparution devant la justice. « Je suis fermement convaincue que les pays qui bénéficient de ressources du Fonds de consolidation de la paix devraient inclure dans leurs projets une stratégie claire de lutte contre le viol et la violence à l'encontre des femmes, ainsi que des mesures d'assistance aux victimes de ces abus, a-t-elle déclaré. La Haut-Commissaire a d'autre part affirmé qu'il existait de nombreuses preuves des discriminations que subissent les femmes au Burundi, où la société reste extrêmement dominée par les hommes. Le Gouvernement du pays devrait montrer la voie à suivre et œuvrer de manière soutenue pour parvenir à l'égalité entre les sexes, a recommandé Louise Arbour.
S'agissant de la question de l'accès à la terre, Mme Arbour a rappelé que la pénurie de terres était une des causes des conflits récurrents que connaît le Burundi, pays surpeuplé. Elle a indiqué que les progrès accomplis dans le processus de paix entraînaient le retour de réfugiés et que les demandes foncières de ceux-ci pourraient accroître les pressions qui s'exercent sur l'accès à cette ressource rare. Le potentiel de conflits dus à la question des terres est aussi exacerbé par la situation des personnes déplacées, qui voudront peut-être revenir dans leur région d'origine sans pouvoir y retrouver la terre qui était la leur, a-t-elle ajouté. Tout en notant que le HCR suivait de près le retour des réfugiés et des déplacés burundais, Mme Arbour a souligné que la question des terres devait être abordée de manière à lui trouver des solutions durables par les autorités compétentes afin d'améliorer l'accès de tous les Burundais à la possibilité de jouir de leurs droits économiques et sociaux. Elle a aussi affirmé que les déplacés et les réfugiés devaient être pleinement intégrés au processus politique en cours dans le pays.
Mme Arbour a ensuite fait part à la Commission des graves préoccupations que suscite la situation de la minorité Batwa. Elle a dit que selon les statistiques officielles, ce groupe ne représentait que 1% de la population du pays. Elle a ensuite indiqué qu'au Burundi, ce groupe vivait, comme ailleurs dans la région des Grands Lacs, en marge de la société et qu'il recevait très peu d'appui de l'État, alors que ses membres faisaient face à de nombreux abus de leurs droits de l'homme. Elle a exhorté le Gouvernement du Burundi à abolir toutes les formes de discrimination pratiquées contre les Batwa.
En conclusion, la Haut-Commissaire aux droits de l'homme a déclaré que la lutte contre impunité et le renforcement de l'état de droit restaient des défis de taille pour le Gouvernement du Burundi. « Je suis convaincue qu'une volonté politique forte et un engagement plus ferme de la part du Gouvernement burundais et de la communauté internationale sont essentiels pour garantir une paix durable au Burundi », a-t-elle insisté. Elle a précisé que le processus visant à mettre en place un mécanisme de justice transitionnelle devait voir le jour dans les semaines à venir. Enfin, elle a dit qu'elle était persuadée que l'opportunité d'un nouveau départ s'offrait au Burundi et que le pays devait à tout prix saisir cette chance.
Échange interactif
Après la présentation de Mme Arbour, le représentant du Luxembourg lui a demandé comment la perspective d'une stratégie de défense et de promotion des droits de l'homme pouvait s'inscrire dans les efforts de consolidation de la paix.
À cela la Haut-Commissaire aux droits de l'homme a répondu en attirant l'attention des membres de la Commission sur l'importance du volet judiciaire, et en rappelant l'interaction qui existe entre l'idéal de la paix et celui de la justice. Bien que plusieurs de ses interlocuteurs au Burundi aient estimé qu'il pouvait y avoir une incompatibilité entre ces deux idéaux, Mme Arbour a indiqué à la Commission qu'elle ne partageait pas ce point de vue. Elle a souligné le fait que l'approche la plus répandue soit celle qui consiste à privilégier la paix aux dépens de la justice. Elle s'est élevée contre une telle vision, qui fait souvent passer la réconciliation et la justice au second plan, alors qu'elles sont une priorité dans les dossiers dont est saisie la Commission de consolidation de la paix, notamment dans le cas du Burundi. La Haut-Commissaire a également préconisé d'élargir le concept philosophique de « responsabilité de protéger », qui doit englober la responsabilité de prévoir, de réagir (à un péril imminent) et de reconstruire en mobilisant les mécanismes de justice, et notamment ceux existant dans la prévention du génocide.
Le représentant de la Guinée-Bissau a pour sa part déclaré que la paix était consubstantielle à l'état de droit au Burundi et que la justice était consubstantielle à la paix.
Regrettant que le processus de paix au Burundi n'avance pas aussi vite que prévu, le représentant de l'Égypte a souhaité que la commission vérité et réconciliation se mette au travail avant que le tribunal spécial ne soit établi, s'il le faut.
Mme ARBOUR, lui a répondu que les deux mécanismes devaient exister et fonctionner conjointement, l'un -la commission- étant placé sous l'égide du Haut Commissariat aux droits de l'homme, et l'autre -le tribunal- sous celle du Bureau des affaires juridiques. Mais il faudrait que les choses soient claires, a indiqué Mme Arbour: si le tribunal devait être le premier à commencer ses travaux, le Procureur devrait alors avoir toute la liberté requise pour déterminer les crimes qui relèvent de cette juridiction. Le règlement de cette question est un préalable à l'examen de toute autre considération, a-t-elle souligné.
Le représentant du Burundi a déclaré que l'on ne pouvait pas bien comprendre la situation de son pays sans en évaluer tous les aspects. En matière de droits de l'homme, il a rappelé que le Burundi avait connu un passé horrible et macabre, dont il doit aujourd'hui assumer les conséquences avec sagesse. Mais au stade où nous en sommes, s'il fallait nous juger par rapport aux décennies précédentes, nous serions largement au-dessus de la moyenne, a estimé le représentant. La Constitution burundaise accorde 30% de postes aux femmes dans les organes gouvernementaux, notamment au sein des ministères les plus importants, comme ceux des affaires étrangères, de la justice, des droits de l'homme et de la finance, a-t-il précisé. Parlant de la minorité Batwa, le représentant burundais a estimé qu'elle était bien représentée, y compris dans les institutions démocratiques comme le Sénat. Des radios privées, sur les ondes desquelles les journalistes peuvent s'exprimer librement, émettent à travers tout le pays, a-t-il poursuivi. D'autre part, les femmes qui vont accoucher sont totalement prises en charge, et l'école est gratuite, a souligné le représentant. Il a donc estimé que la situation qui règne aujourd'hui au Burundi est loin d'être aussi grave qu'elle avait été dans le passé.
Mme ARBOUR a réagi à ces remarques en indiquant qu'elle n'avait jamais raté une occasion de louer la présence des femmes dans la vie publique burundaise. Elle s'est également félicitée qu'une nouvelle législation soit à l'examen pour réformer l'actuel système de succession et d'héritage, qui s'appuie sur le droit coutumier et prive les femmes de la possibilité d'hériter des biens de leurs familles. Elle a émis l'espoir que ce projet de loi serait adopté sans faire l'objet d'un référendum, car l'opinion publique pourrait le rejeter en raison de résistances très fortes à certaines de ses dispositions. Préoccupée par la tendance qui privilégie la tenue d'élections comme si elles étaient la panacée en matière de réussite de processus de paix, la Haut-Commissaire, tout en reconnaissant leur rôle important, a déclaré qu'il fallait donner à la justice la place qui lui revient de droit dans la consolidation de la paix et la reconstruction postconflit.
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