Médecins Sans Frontières a interrompu en
décembre 2000 sa participation au programme de rapatriement volontaire
des réfugiés afghans, organisé par le Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR)
et les autorités iraniennes. Interview de Pierre Salignon, responsable
de programmes à MSF.
Pourquoi arrêtons-nous notre participation
au rapatriement volontaire des réfugiés afghans ?
Nous tirons les conclusions de plusieurs développements récents qui remettent en cause le caractère volontaire des retours des réfugiés afghans vers leur pays. Tout d'abord, si près de 165 000 afghans ont bénéficié de l'aide du HCR pour rentrer dans leur pays depuis le mois d'avril 2000, c'est en majorité faute d'alternative et devant la crainte d'une expulsion certaine de la part des autorités iraniennes déterminées à renvoyer « tous les clandestins » chez eux. Les dysfonctionnements observés en Iran dans l'organisation du programme de rapatriement du HCR (absence d'information correcte des réfugiés, manque de moyens...) n'ont rien arrangé. Enfin, depuis plusieurs mois, on observe une dégradation continue de la situation générale en Afghanistan. C'est pourquoi MSF a demandé, fin septembre, pendant la visite en Asie centrale de Mme Ogata, Haut commissaire des Nations unies pour les réfugiés, la suspension des rapatriements de réfugiés afghans. Peine perdue. Le programme a été prolongé jusqu'à fin décembre 2000 (alors qu'il devait prendre fin en octobre). Depuis, la politique des autorités iraniennes s'est encore durcie. Ces dernières semaines, les Iraniens ont repris les expulsions massives et ont annoncé avoir « renvoyé chez eux » près de 30 000 « clandestins » (plus de 5 000 par semaine). Le HCR est totalement dépassé et mis sur la touche. Il ne sert plus que de « faire-valoir ».
Parler de dégradation en Afghanistan, dans un pays déjà exsangue, qu'est-ce que cela signifie ?
Il faut souligner la gravité de la situation en Afghanistan. Alors que les conditions de vie ne cessent de s'y détériorer, les Iraniens expulsent à tour de bras et le HCR poursuit les rapatriements de réfugiés afghans. Peu importe les messages d'alerte d'autres agences des Nations unies (FAO et PAM) sur la sécheresse qui sévit depuis 3 ans en Afghanistan, la destruction des cultures et du bétail, le déficit alimentaire qui s'accroît. Peu importent les estimations selon lesquelles 500 000 à 1 million d'Afghans seraient en danger de mort si rien n'est fait dans les mois qui viennent pour leur porter assistance. Peu importe encore la poursuite des combats entre les Taleban et les forces de l'opposition, les exactions commises contre les civils et les membres des minorités...
La dégradation générale des conditions de vie en Afghanistan entraîne de nouveaux déplacements massifs de population. Le nombre de déplacés internes est chaque jour plus important : à Hérat, ils sont déjà 45 000 à avoir fui avant l'hiver les provinces de Ghor et Badghis. 80 000 autres ont fui devant l'avancée des Taleban vers Taloqan. Ils se sont installés dans des conditions précaires dans la région de Rostaq.
Au Pakistan voisin, ils sont plus de 30 000 à avoir rejoint les camps de Peshawar et de Chitral ses dernières semaines. Enfin, en Iran, tous les jours, les équipes MSF rencontrent de nouveaux réfugiés qui viennent de passer la frontière iranienne de façon clandestine. 70 % des cas rencontrés à Mashaad sont des Hazaras originaires du nord de l'Afghanistan, fuyant en famille, les exactions des Taleban. Ils arrivent en Iran exténués, après avoir tout perdu, dépouillés de ce qui leur restait par les passeurs iraniens.
Ils se retrouvent dans la clandestinité, les Iraniens refusant de leur accorder un statut et les considérant comme des « réfugiés économiques »... Ils n'ont plus qu'à espérer ne pas être arrêtés par la police et expulsés sans autre forme de procès.
Donc, le partenariat avec le HCR se termine sur un constat d'échec ?
Oui. Le HCR, en lançant ce programme de rapatriement, pensait renforcer la protection des réfugiés. En favorisant un rapatriement volontaire sous sa supervision, il espérait voir le nombre de déportations baisser. Cela a été le cas pendant quelques mois, puis les autorités iraniennes, insatisfaites du travail du HCR - pas assez de départs - ont repris leur sale besogne. Le HCR pensait aussi faciliter la sélection entre « vrais » réfugiés et réfugiés « économiques », les premiers pouvant bénéficier d'un asile temporaire. Là aussi, on doit constater que quelques dizaines de milliers d'Afghans ont reçu des autorisations de séjours pour 3 ou 6 mois. Mais que se passera-t-il ensuite ? On ne peut le dire. Et à ce jour, rien n'est prévu pour l'accueil et la protection des Afghans qui continuent toujours à fuir la guerre et un pays exsangue.
Comment voyez-vous évoluer la situation ?
On ne peut être que très pessimiste. Les Iraniens vont certainement poursuivre leur politique d'expulsions massives et renforcer les contrôles le long de la frontière afghane. Même si cela n'empêche pas les réfugiés d'entrer en Iran, on peut imaginer que leur vie clandestine va devenir intenable. Elle l'est déjà ! Pour l'instant, l'équipe MSF à Mashaad essaye, au jour le jour, de trouver des solutions pratiques pour aider les familles les plus démunies (soins, aide matérielle, nourriture), et pour leur éviter de se retrouver à la rue pendant l'hiver. A Téhéran et en Europe, nous essayons d'engager des discussions avec le HCR, les pays donateurs, et les autorités iraniennes à propos de l'accueil des nouveaux réfugiés, leur prise en charge en Iran, leur protection, mais aussi pour les informer de la situation en Afghanistan. Il faut essayer, même si l'on peut douter de leur écoute. Le programme médical MSF en faveur des Afghans en situation clandestine se poursuit donc à Mashaad. Nous souhaitons aussi développer une présence dans le sud de Téhéran, o=F9 vit un importante communauté afghane. Ceci dépend désormais de la volonté des autorités iraniennes de nous laisser travailler et de faciliter notre présence (visas, autorisations de circulation). L'année 2001 sera une année charnière pour notre présence en Iran.
On a l'impression que ces réfugiés n'intéressent personne...
C'est vrai. Aujourd'hui, on parle davantage du renforcement des sanctions des Nations unies contre le régime des Taleban, des futures représailles américaines contre Oussama ben Laden, de la menace terroriste en Asie centrale... Le HCR dit à qui veut l'entendre que « la seule solution pour les réfugiés est de rentrer ». Tout cela est bien théorique face au combat quotidien des Afghans pour survivre. Les pays donateurs réduisent chaque année davantage leur soutien aux programmes de secours dans la région. Autant dire que l'avenir est plutôt sombre.
Pour de plus amples informations, visitez le site de Médecins Sans Frontières: http://www.msf.org/