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Guinea-Bissau

La réforme du secteur de la sécurité en Guinée-Bissau : une occasion à saisir - Briefing Afrique N°109

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SYNTHESE

Les partenaires internationaux de la Guinée-Bissau se réuniront à Bruxelles le 25 mars pour étudier, entre autres, le dossier crucial de la réforme du secteur de la sécurité (RSS). Depuis quarante ans, l’armée a fait une dizaine de tentatives de coups d’Etat, dont trois réussies. Cette instabilité est un des freins au développement du pays. La configuration actuelle n’a jamais été aussi favorable à des avancées dans ce secteur : l’armée a été décrédibilisée par son dernier coup d’Etat en 2012 ; les élections de 2014 ont porté au pouvoir des responsables politiques moins dépendants des militaires car légitimés par les électeurs et appuyés par les partenaires internationaux ; enfin, ces derniers sont moins divisés qu’en 2012. Cette occasion ne doit pas être manquée. Les partenaires internationaux doivent fournir le soutien financier nécessaire, et le nouveau régime doit contenir ses tensions internes pour préserver sa légitimité et un contexte favorable à la RSS. Tous doivent garder à l’esprit que la réforme se fait dans la longue durée et qu’elle nécessite un arbitrage fin entre des groupes et réseaux aux intérêts divergents.

La Guinée-Bissau a longtemps vécu sous l’influence négative de l’armée. Sans exercer le pouvoir directement, celle-ci s’est autonomisée, devenant une vraie force politique. Elle a subi une ethnicisation graduelle, la communauté balante, qui représente environ un quart de la population, venant à la considérer comme son domaine réservé. Elle a connu enfin une dégradation institutionnelle et la montée d’un factionnalisme clientéliste qui a parfois pris un tour criminel, notamment avec l’implication de certains réseaux militaires dans le trafic de cocaïne.

L’apogée de la domination militaire a été atteint avec le coup d’Etat d’avril 2012. La dégradation socioéconomique qui a suivi a affecté la légitimité des militaires. Portés au pouvoir par les élections d’avril-mai 2014, les dirigeants actuels, qui ne doivent rien aux militaires, occupent une position d’autant plus forte qu’ils se sont alliés au principal parti d’opposition, qui cherche à renégocier ses liens exclusifs et encombrants avec l’armée et la communauté balante.

Au plan international, la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) s’est imposée depuis 2012 comme un acteur majeur, en particulier face à l’armée. Les autres acteurs internationaux s’accommodent maintenant de son rôle de chef de file sur ce dossier. Sa mission militaire (Ecomib) semble suffire à dissuader les militaires mécontents d’une action violente contre l’exécutif.

Ce contexte positif est toutefois menacé par les tensions persistantes entre le président José Mário Vaz et le Premier ministre Domingos Simões Pereira. Tous deux sont issus du même parti, mais la vie politique, marquée par le clientélisme, ainsi que la Constitution, qui définit un exécutif bicéphale, génèrent des tensions. Celles-ci pourraient entrer en résonance avec les suspicions sous-jacentes entre acteurs internationaux ou avec les anxiétés des militaires.

Le nouveau régime a amorcé une reprise en main de l’armée, renouvelant en partie la hiérarchie. La gouvernance et la situation économique et financière se sont améliorées. La RSS, elle, en est encore à un stade préparatoire, même si l’approche de la table ronde du 25 mars a amené le gouvernement à formuler ses besoins financiers : un programme de 270 millions de dollars sur cinq ans, qui comprend un fonds de pension spécial pour financer la mise à la retraite de centaines de militaires. Les demandes élevées du gouvernement pour le fonds de pension et les effectifs futurs des forces de défense et de sécurité (FDS) risquent d’affaiblir la mobilisation des soutiens et de se faire au détriment d’une vraie institutionnalisation des forces. Certaines dispositions sont peu fonctionnelles, d’autres sont risquées. Ces faiblesses devront être corrigées en route : il faut vite engager le processus et entretenir l’élan actuel.

Pour réussir la RSS et en faire un vrai facteur de changement, les acteurs nationaux et internationaux doivent prêter attention aux points suivants.

  • Le président et le Premier ministre doivent s’abstenir de faire des FDS un enjeu de leurs luttes. Le président de la Cedeao et le président de la commission de la Cedeao doivent mener ensemble une facilitation entre les deux têtes de l’exécutif.

  • La présence de l’Ecomib doit être garantie jusqu’à la fin du mandat du président Vaz (en 2019), son effectif pouvant être réduit selon l’évolution de la situation. L’Union européenne doit aider la Cedeao, qui en assure pour le moment la charge exclusive et a signalé des difficultés budgétaires, à financer l’Ecomib.

  • Les acteurs internationaux doivent soutenir la RSS. Le comité de pilotage de la RSS doit reprendre une activité régulière pour favoriser transparence et coordination, et un comité de suivi réunissant autorités bissau-guinéennes et partenaires internationaux doit suivre tous les financements levés pour la RSS, sur le modèle de celui qui est prévu pour le fonds de pension spécial.

  • Le recrutement de nouveaux soldats et certaines mesures du fonds de pension spécial, notamment pour les départs volontaires, doivent être revus à la baisse. La RSS doit tendre à moyen terme à une réduction des dépenses militaires, trop élevées dans un pays qui n’est pas l’objet de menaces extérieures immédiates.

  • Les départs à la retraite doivent être financés, mais pas au détriment du financement de la construction de véritables institutions de défense et de sécurité. La Cedeao doit encourager l’Etat à consolider l’amélioration de la condition militaire dans un cadre formalisé, et à organiser les carrières des membres des FDS.

Le rééquilibrage ethnique de l’armée, qui a figuré par le passé au programme de la RSS, doit en être exclu. Cette question n’aura d’issue qu’avec le traitement d’autres inégalités historiques dans différents secteurs.

Dakar/Bruxelles, 19 mars 2015

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